Des femmes qui pleurent parce qu'elles ont été séparées de leur mari. Des enfants sales et épuisés, qui appellent le parent resté derrière ou emporté par un autobus parti vers une destination inconnue. Des familles entières assises par terre, sous la pluie. Et des centaines de personnes qui se ruent sur le train attendu depuis deux jours, dans le chaos absolu.

Ces scènes déchirantes se sont déroulées hier à Tovarnik, petite ville croate à la frontière de la Serbie, devenue le principal point de passage des demandeurs d'asile en route vers l'ouest et le nord de l'Europe.

Depuis que la Hongrie s'est barricadée derrière des clôtures et des barbelés, des milliers de réfugiés se sont rabattus sur la Croatie comme point d'entrée sur le territoire de l'Union européenne. Le gouvernement croate leur a d'abord ouvert les bras, mais après avoir accueilli 20 000 personnes en trois jours, il a été vite dépassé par l'intensité de ce flux humain. Samedi, il a annoncé la fermeture de sept de ses huit postes frontaliers avec la Serbie.

Depuis, à Tovarnik, c'est un peu le monde à l'envers: les seuls qui peuvent franchir cette frontière théoriquement fermée, ce sont les demandeurs d'asile, qui y arrivent massivement, à coup de 2000 personnes par jour.

Toutes les 15 minutes, des autobus venus du sud de la Serbie les déposent à un peu plus d'un kilomètre de la frontière, près d'une route de terre qui pique à travers des champs de maïs. «Merci au président croate!», a lancé samedi un jeune Syrien de Damas, chargé d'un lourd sac à dos et de sacs de plastique, alors qu'il marchait vers la frontière croate, sous les rayons orangés du soleil.

Mais les migrants réalisent rapidement qu'une fois en Croatie, ils ne sont pas au bout de leurs peines. Hier, ils n'avaient pas la moindre idée du sort qui les attendait.

«Est-ce que vous savez où on va?», demandaient-ils à la ronde, en attendant de monter dans l'un des nombreux autobus venus les cueillir près de la gare de train de Tovarnik. Mais ni les policiers, ni les organisations humanitaires qui ont planté leurs tentes à Tovarnik, ni même les représentants du Haut Commissariat pour les réfugiés (HCR) n'étaient en mesure de leur répondre.

«Ma femme et mes quatre enfants sont dans l'autobus qui est en train de partir, s'il vous plaît, laissez-moi aller avec eux», suppliait, les larmes aux yeux, Aras Mandel, un Irakien de Bagdad.

«Vous n'avez qu'à attendre votre tour, de toute façon, tous les autobus vont au même endroit», a répondu le policier croate.

Oui, mais où? Le policier n'en savait rien. Les demandeurs d'asile étaient peut-être acheminés vers la Hongrie, qui a accepté d'en conduire plusieurs milliers jusqu'à la frontière autrichienne. Ou alors vers un «camp d'accueil» des demandeurs d'asile que le gouvernement croate a entrepris de mettre sur pied à une vingtaine de kilomètres de Tovarnik.



Scènes de chaos

Mais c'est à la gare elle-même qu'ont eu lieu, hier, les scènes les plus poignantes, alors que des centaines de demandeurs d'asile incapables de monter dans l'unique train à s'y être arrêté depuis deux jours ont été refoulés derrière des barrières métalliques gardées par une rangée de policiers.

«Ça fait trois jours que j'attends ici, dites-leur de nous laisser partir, on peut s'organiser, on peut prendre un taxi», argumentait Ali, un Irakien qui avait vu sa femme et ses deux enfants partir dans le train.

«Il faut qu'ils laissent sortir les femmes et les enfants, c'est invivable ici, tout le monde pousse sur tout le monde», a renchéri Nour, rescapée du camp de réfugiés palestinien d'Yarmouk, un quartier de la banlieue de Damas longtemps assiégé par le régime syrien.

Quand finalement les policiers ont cédé à la demande, ce sont des femmes et des enfants en pleurs, inquiets pour les proches qu'ils laissaient derrière, qui ont franchi la barrière.

Ce chaos était pourtant parfaitement évitable, déplorait hier Babar Baloch, porte-parole du HCR pour l'Europe centrale. «Le plus grand problème, c'est la communication, il faut dire aux gens où vont les autobus, quand ils vont partir et qui peut y monter.»

Pour Babar Baloch, qui a passé la journée à essayer de comprendre ce qui se passait exactement, tous ces dérapages sont la conséquence du manque de coordination entre les pays européens, alors que chaque État espère refiler la responsabilité d'enregistrer les demandeurs d'asile à ses voisins.

C'est ainsi que la Hongrie, qui a fermé ses frontières à quadruple tour aux réfugiés, en a finalement laissé passer plusieurs milliers depuis deux jours pour les amener de la frontière croate jusqu'à la frontière autrichienne.

12 000 réfugiés en Autriche

L'Autriche, qui avait rétabli les contrôles frontaliers au début septembre, a finalement laissé entrer sur son territoire quelque 12 000 réfugiés au cours du dernier week-end. Tout ça dans la plus grande improvisation.

«Au lieu de se tirailler les uns avec les autres, les pays de l'Union européenne doivent mettre en place un système commun pour recevoir les demandes d'asile de ces gens qui, à 80%, fuient des pays en guerre», plaide Babar Baloch, qui insiste pour dire qu'aucun pays ne peut assumer cette responsabilité tout seul.

Car ce flot humain est loin d'être terminé. Et pendant que les responsables croates essayaient de vider le camp de réfugiés improvisé autour de la gare de Tovarnik, des dizaines de nouveaux migrants tout juste sortis de Serbie marchaient vers le centre de la ville, avec leurs enfants et leurs lourds sacs sur le dos.