L'élan de solidarité suscité par les photos du petit Aylan Kurdi, retrouvé mort sur une plage de Turquie, suffira-t-il à infléchir la décision de David Cameron, qui a proposé d'accueillir seulement 20 000 réfugiés syriens au cours des cinq prochaines années? Rien n'est moins sûr.

L'Angleterre devrait-elle faire plus pour les réfugiés? Pour les artistes et personnalités publiques, qui ont été nombreux à prendre position dans la presse britannique, comme pour une partie de l'opinion publique, la réponse ne fait aucun doute: oui.

Deux semaines après que les images du corps du petit Aylan Kurdi eurent secoué l'opinion publique internationale et poussé les pays de l'Union européenne à se préoccuper du sort des réfugiés syriens, plusieurs milliers de personnes ont manifesté samedi après-midi en soutien aux réfugiés dans les rues de Londres.

Particulièrement visé: le premier ministre David Cameron, qui avait qualifié cet été la vague de réfugiés fuyant la Syrie de «nuée» menaçant de s'abattre sur le pays.

La Grande-Bretagne refuse, comme la Hongrie, la Roumanie, la République tchèque et la Slovaquie, l'imposition aux pays membres de l'Union européenne d'un quota d'accueil de réfugiés.

Seul geste d'ouverture du gouvernement tory de David Cameron, la promesse d'accueillir 20 000 réfugiés syriens vivant dans les camps de Jordanie, d'Égypte et du Liban, au cours des cinq prochaines années. Une performance plutôt faible en regard de celles des voisins européens, notamment l'Allemagne, qui a accueilli près de 18 000 migrants syriens en une semaine.

«J'ai honte d'être Britannique, j'ai honte de voir que nous ne faisons rien», soupire Stella, une mère de famille rencontrée devant le parlement samedi, avec son mari et leurs deux enfants lors de la marche de solidarité avec les réfugiés.

Solidarité

Depuis plusieurs mois, les groupes humanitaires tentent de sensibiliser l'opinion publique au sort des réfugiés. Mais les gestes de solidarité de simples citoyens, notamment envers les quelque 2000 réfugiés qui vivent de l'autre côté de la Manche, à Calais, dans un dénuement quasi total, se sont faits de plus en plus nombreux au cours de l'été.

Ainsi, des Britanniques sont venus porter des vélos de Londres jusqu'à Calais. D'autres, des livres, et certains, comme Anthony Hamilton, jeune trentenaire, de la nourriture. «Quand on voit que le seul geste de David Cameron a été d'amener des barrières à Calais, on a du mal à rester insensible», dit-il.

Comme en Allemagne et en France, des centaines de Britanniques se sont manifestés au cours des dernières semaines pour héberger chez eux des réfugiés. Pourtant, les problèmes de logement auxquels font face les migrants et les sans-papiers - comme les Londoniens les plus vulnérables - ne sont pas nouveaux.

«On ne peut pas dire que les gens faisaient la queue pour donner leur chambre», explique Jean Domars, un Français qui travaille depuis une dizaine d'années auprès des sans-abri et des sans-papiers de Londres.

Avec l'association Praxis, il a mis sur pied plusieurs solutions pour loger les sans-papiers et les réfugiés, au cours des dernières années. Le prêt de chambre par des particuliers, pour une durée allant de quelques jours à quelques mois, a été établi il y a plusieurs années déjà. Mais les volontaires n'ont jamais été aussi nombreux qu'en ce moment.

«On est passés d'une seule demande de volontaire par semaine à une centaine. C'est une différence majeure», estime Jean Domars.

Un peu à la façon du Canada, la Grande-Bretagne a durci sa politique d'accueil envers les demandeurs d'asile au cours des dernières années. Pour de nombreux Britanniques qui ont pu bénéficier du système d'asile et des réunifications familiales, ce revirement est inquiétant.

«Mon oncle, ma tante et mes cousins ont pu venir de la Somalie jusqu'ici, dans les années 90. Ils sont bien intégrés, et les accueillir était la chose à faire à l'époque. Pourquoi ce serait différent aujourd'hui?», demande Zahrah Awaleh, une travailleuse sociale d'origine somalienne, mère de trois jeunes enfants.

Réfugiés syriens

Selon des chiffres cités par les médias britanniques, le Royaume-Uni a accueilli près de 25 000 Kosovars à la fin des années 90, contre moins de 5000 Syriens depuis 2011.

Parmi eux, Kafa, Zyad et leurs deux enfants, âgés de 9 et 10 ans, rencontrés près de Hyde Park, samedi.

Toute la famille a quitté Homs dès le début de la guerre civile, en mars 2012, mais a passé trois ans dans un camp de réfugiés en Jordanie avant d'obtenir l'asile en Angleterre.

Ils ne se souviennent plus du nombre de démarches qu'ils ont entreprises pour arriver jusqu'ici, mais seulement de la patience qu'il leur a fallu.

Comme de nombreux Syriens, ils ont été tentés de gagner l'Europe par des moyens plus rapides - et plus dangereux - avec des passeurs.

«C'est sûr que ç'a été très long, et que c'était difficile. Mais on avait les enfants, et pas d'argent», explique Kafa, qui préfère taire son nom de famille.

Aux côtés de Kafa et son mari, Zakaa, une grande femme portant un voile clair et un manteau de velours hoche la tête. Cette Syrienne de Damas a elle aussi passé plusieurs années dans un camp en Égypte, avec un fils atteint de leucémie, avant d'être acceptée comme réfugiée en Angleterre, au printemps.

Pour son pays d'accueil, elle n'a que de bons mots.

Mais elle ne croit pas que l'afflux de réfugiés cessera tant que la guerre continuera. Contrairement à l'idée répandue en Grande-Bretagne selon laquelle les réfugiés sont en fait des migrants économiques, elle ne rêve que de retourner en Syrie.

Son mari a été froidement abattu par des militaires du régime Assad à Damas. Elle a tout perdu dans la fuite. Mais elle rêve encore de la Syrie. «Si demain, on me dit que je peux y retourner, je n'hésiterai pas. C'est chez moi, et c'est un pays magnifique», dit-elle.