C'était un gymnase moderne, en blocs blancs et orange, construit il y a quelques années à peine. Tout ce qui en reste aujourd'hui, c'est une carcasse éventrée et calcinée, qui se dresse dans une rue de Nauen, bourgade de 17 000 habitants à une demi-heure de train de Berlin.

L'alarme a été donnée à 2h22, dans la nuit du 25 août. Les pompiers sont arrivés en 15 minutes, mais il était déjà trop tard. Les flammes avaient tout détruit.

On est loin, ici, d'un simple fait divers. L'immeuble était sur le point d'accueillir 120 demandeurs d'asile, qui devaient y résider jusqu'au printemps, en attendant la construction de bâtiments où ils pourront loger de façon permanente.

L'enquête n'a pas encore permis d'identifier les coupables. Mais à Nauen, personne ne se fait d'illusions: l'incendie est l'oeuvre de l'extrême droite qui rejette la politique d'accueil de la chancelière Angela Merkel.

Il y a un moment que cette frange radicale fait entendre sa voix, parfois brutalement, dans cette ville de province à l'allure somnolente.

«Les fachos ont tout fait pour m'expulser de mon poste», raconte le maire de Nauen, Detlef Fleischmann. Il y a eu quelques manifs bruyantes, réclamant sa démission. En février, quand le conseil municipal devait donner le feu vert à la construction du futur foyer pour réfugiés, des néonazis ont fait irruption à l'hôtel de ville et ont fait tellement de grabuge qu'il a fallu faire appel à la police.

Le maire Fleischmann refuse de céder aux menaces. «Ce n'est pas mon genre d'avoir peur», assure-t-il. Il n'est pas le seul. Le vote sur le futur refuge, censé ouvrir ses portes en mars 2016, a fini par avoir lieu. Et au lendemain de l'incendie, tous les maires de la région sont venus manifester leur soutien à Nauen.

«Nous ne voulons pas donner l'impression qu'il suffit de brûler des foyers pour réfugiés pour qu'on refuse d'en recevoir», clame le maire socialiste.

Multiplication d'attaques

Comme plusieurs habitants de cette ville, Detlef Fleischmann a été choqué par l'attaque du 25 août. «Ça fait 25 ans que je fais de la politique, je n'ai jamais vu un tel acte de terrorisme.»

Ces actes, pourtant, se multiplient en Allemagne, à mesure que le pays ouvre ses portes aux victimes des guerres qui n'en finissent plus de déchirer le Moyen-Orient. Un week-end de fin août, la ville de Heidenau, en Saxe, a été le théâtre de violentes émeutes, quand des militants anti-immigration ont attaqué des autobus transportant 250 demandeurs d'asile.

La vague de violence s'intensifie. Depuis le début de 2015, l'Allemagne a connu 382 attaques contre les réfugiés, dont 45 incendies criminels, selon la fondation Amadeu Antonio Siftung, un centre de recherche sur le racisme et l'extrême droite allemande. C'est plus que ce que cet institut a recensé pendant toute l'année 2014.

Des événements, il y en a pratiquement tous les jours. Le maire Fleischmann dit éviter de suivre l'actualité, de crainte d'apprendre qu'un autre centre d'hébergement a brûlé. Car ces tensions, prévoit-il, ne peuvent que s'exacerber avec l'afflux de nouveaux demandeurs d'asile.

Des radicaux bruyants

La chancelière Angela Merkel a ouvert les frontières du pays à tous les migrants fuyant des pays en guerre, comme la Syrie et l'Irak. Elle a mis de côté la «règle de Dublin», qui impliquait le renvoi de demandeurs d'asile vers le pays où ils sont entrés sur le territoire de l'Union européenne. En revanche, les migrants économiques venus notamment des Balkans se heurteront à des portes fermées.

Même si une forte majorité d'Allemands soutiennent cette politique, une frange minoritaire, mais bruyante, manifeste brutalement son désaccord.

«Environ 25% d'Allemands appuient les idées xénophobes de l'extrême droite», constate Robert Lüdecke, porte-parole de la fondation Amadeu Antonio Siftung.

Le Parti national démocrate (NPD), de tendance néonazie, n'a jamais pu faire élire de députés au Bundestag. Mais il a connu quelques succès politiques régionaux. Et il a fait élire son premier député européen aux élections de 2014.

Selon Robert Lüdecke, ce parti peut compter sur un réseau de militants regroupés dans des dizaines de «cercles amicaux» - qui constituent en fait la fraction violente derrière le NPD.

Ce mouvement a décliné au cours des dernières décennies. «Les protestations contre les réfugiés lui permettent de reprendre de la force autour d'un thème unificateur.»

Inquiétudes

La majorité des gens croisés à Nauen appuient la politique de la porte ouverte et se disent d'accord pour accueillir ceux qui fuient la guerre. Mais ça n'empêche ni les inquiétudes ni les grincements de dents.

Ramona, serveuse dans un steak house de Nauen, est furieuse contre les criminels qui ont brûlé le gymnase, que la Ville devra maintenant reconstruire «avec nos impôts». Et elle reconnaît que Nauen doit faire sa part pour les réfugiés.

Mais en même temps, elle appréhende un regain des tensions: «Il y a trop de fachos ici pour que 250 réfugiés puissent y vivre normalement.» Et elle craint que les demandeurs d'asile qui débarqueront à Nauen soient surtout des hommes qui risquent «d'agresser les jeunes femmes».

«J'ai peur que des incidents comme l'incendie du gymnase se répètent, la ligne de confrontation entre les anti et les proréfugiés est très dure», confie Anika, rencontrée dans un restaurant du vieux Nauen.

La Ville travaille fort pour apaiser ces appréhensions. Il y a eu des rencontres où les citoyens ont pu exprimer leurs craintes. Ce qui en ressort? «Une peur générale à l'égard des étrangers et la crainte que ceux qui viendront à Nauen ne soient surtout des hommes, seuls, et non des familles», dit Sarah Turner, attachée de presse de la mairie.

Dans une brochure qui a été distribuée aux habitants, la Ville explique les mesures qui seront prises pour assurer la sécurité et minimise l'impression que les réfugiés «coûtent cher».

L'extrême droite, elle, veut précisément le contraire: enflammer l'opinion. «Toutes leurs actions visent à étendre le mouvement raciste au sein de la société», dit Robert Lüdecke.

Selon lui, le mouvement raciste peut compter sur une base de 10 000 personnes assez engagées pour participer à des manifestations anti-immigrants. Leur mot d'ordre: non aux réfugiés.

D'un côté, une forte vague d'ouverture et de solidarité. De l'autre, un mouvement raciste qui reprend du poil de la bête. À mesure que le nombre de réfugiés augmente, la fracture s'accentue.