Lors de sa récente tournée en Amérique latine, le pape François a dénoncé une économie qui «tue» et qui «exclut». Osera-t-il tenir le même langage aux États-Unis, où il effectuera la semaine prochaine son premier voyage à vie? C'est l'une des questions que La Presse a abordées cette semaine avec John Thavis, vaticaniste américain réputé, au lendemain de la parution de son nouveau livre, intitulé The Vatican Prophecies.

Q Le pape François a-t-il les mêmes réserves que plusieurs Sud-Américains à l'égard des États-Unis?

R Je pense que le pape François partage l'opinion générale de l'Amérique latine au sujet des États-Unis. Ce sera une expérience éducative pour les Américains de l'entendre. Le pape François n'a jamais mis les pieds aux États-Unis, et même ce fait le rend suspect aux yeux des Américains dans une certaine mesure. Il parlera d'inégalités économiques et tout ce qui s'y rattache, y compris les dommages environnementaux et les politiques migratoires. Tout cela fait partie d'un système économique global que le pape abordera d'un point de vue latino-américain, qui est très critique.

Q Le pape s'adressera jeudi au Congrès américain et à sa majorité républicaine. Se risquera-t-il alors à parler de ce système économique qui «tue» et qui «exclut», comme il l'a fait ailleurs?

R Je ne m'attends pas à ce qu'il utilise un langage accusateur parce que ça se retournerait contre lui. Il utilisera un langage qui reflète sa pensée sans donner l'impression de donner des leçons sur l'économie. Le pape a dit que la théorie selon laquelle le bien-être des riches finit par profiter aux classes sociales défavorisées ne marche pas. Il a dit que cette économie tue. Je pense qu'il sera un peu plus diplomate devant le Congrès. Il tentera de faire valoir que tout système économique fait fausse route à partir du moment où le bien commun n'est plus son objectif principal. Il saluera les traditions des États-Unis, y compris leurs progrès économiques, tout en mettant les gens au défi d'être à la hauteur de ces traditions de façon à ce que le bien commun soit protégé.

Q Selon Gallup, le taux de popularité de François aux États-Unis est passé de 74% en février 2014 à 59% en juillet dernier, une baisse attribuée à l'opposition des conservateurs à certaines de ses positions. Le pape se soucie-t-il de ce genre de données?

R Il lit les journaux. Et je pense qu'il est très conscient de la façon dont son message est reçu. Quand il y a de l'opposition, il en prend note. D'un côté, son message essentiel ne changera pas seulement pour plaire aux conservateurs. Mais, de l'autre, il fera attention à la façon dont il le présentera. Je m'attends à ce qu'il ait quelque chose à dire à ceux qui ont été critiques à son égard. J'ai hâte de voir ça.

Q Quelles seront les principales différences entre le discours qu'il prononcera devant le Congrès et celui qui suivra aux Nations unies, vendredi?

R Je pense que le discours aux Nations unies explorera davantage la dimension mondiale de certains problèmes. Il parlera de l'immigration en tant que tragédie mondiale, il parlera des racines de l'immigration, des inégalités économiques en tant que phénomène mondial. Je pense que ce sera un discours plus percutant.

Q Le pape participera à Washington à la canonisation du missionnaire Junípero Serra, évangélisateur de la Californie, au grand dam des Amérindiens, qui reprochent au franciscain d'avoir participé à la conversion forcée de leurs ancêtres au catholicisme. François a-t-il vu venir cette controverse?

R Je pense que le pape a souffert un peu de cécité dans ce dossier. Il n'était peut-être pas habitué à l'opposition à la canonisation de Serra. Il voyait probablement Serra comme un grand évangélisateur et voulait se servir de lui comme d'un trait d'union entre les deux Amériques. Le problème est que l'expérience des missions à laquelle il est lié est perçue comme une tragédie par les Amérindiens. Je pense que le pape fera face à un véritable défi: expliquer ce qu'il fait et pourquoi il le fait.

Q Un angle canadien pour terminer. Vous avez exprimé votre étonnement quand l'auteure et activiste Naomi Klein, féministe juive et laïque, a été invitée à participer à une conférence sur les changements climatiques au Vatican. Pourquoi?

R Naomi Klein, comme vous le savez, n'adhère pas aux enseignements de l'Église sur plusieurs sujets, dont la sexualité et la reproduction. Ce sont des questions qui ont poussé des évêques, au cours des dernières années, à désinviter des gens aux activités de leur diocèse. Et voilà soudain que le pape invite une personne comme elle au Vatican! Cela ne s'était jamais vu.