Le titre a le mérite de la clarté : La fin des journaux. Sans point d'interrogation. Bernard Poulet, rédacteur en chef de L'Expansion, qui a écrit en 2005 un livre intitulé Le pouvoir du Monde, dresse un bilan plus que pessimiste de l'état de la presse en France et en Occident. «Le modèle économique sur lequel fonctionnait la presse quotidienne est en train de disparaître, explique-t-il en entrevue. On assiste à une érosion constante de la diffusion. Et à un effondrement des recettes publicitaires. Au profit de l'internet aujourd'hui, des téléphones portables demain. «Les grands journaux, appuyés sur des rédactions importantes et coûteuses, ont créé des sites. Mais les nouvelles recettes publicitaires ne compensent aucunement celles qu'ils ont perdues sur le papier. Les sites payants des journaux ont été rapidement fermés, parce que non rentables. L'internet a accouché d'une culture de la gratuité. Pourquoi payer pour une information gratuite à la radio, à la télé et sur la Toile? À terme, les grands journaux seront des produits de luxe, rares et chers. « En France, la situation est particulièrement dramatique pour la presse «de référence», bien qu'elle bénéficie d'aides publiques équivalant à 10% de son chiffre d'affaires. Malgré de grosses réductions de personnel, Libération reste déficitaire et dépend du bon vouloir d'investisseurs philanthropes. Sa diffusion est en dessous des 130 000 exemplaires (dont 22% de diffusion gratuite dans les avions et les hôtels). Le Monde, malgré une restructuration récente, est plombé par un effondrement de la pub (de 100 millions d'euros en 2001 à moins de 50 millions en 2008). Et par une énorme dette de 100 millions. Malgré des coupes à la rédaction, le Figaro perdait déjà 10 millions d'euros en 2007.

 

Lectorat vieillissant

«Certes, la presse française partait de beaucoup plus bas que l'Allemagne ou la Grande-Bretagne», dit Bernard Poulet. C'est pourquoi tous les indicateurs sont au rouge: en 40 ans, le pourcentage des plus de 15 ans lisant un quotidien en France est passé de 59 à 34%. Et 44% des lecteurs actuels ont plus de 50 ans. Depuis 1974, la diffusion «payante» est passée de 3,8 millions d'exemplaires à 1,9 million. Et le titre quotidien le plus lu est désormais un gratuit 20 minutes avec plus de 2,6 millions de lecteurs. Mais même aux États-Unis, le déclin est spectaculaire: en un demi-siècle, le nombre d'exemplaires payants est passé de 353 pour 1000 habitants à 183. L'âge moyen du lecteur: 55 ans. Un expert, Vin Crosbie, estimait en septembre 2008 que «plus de la moitié des 1439quotidiens américains n'existeront plus dans 10 ans, que ce soit sur le papier, sur le web ou en e-paper». Selon Bernard Poulet, «il y a une idéologie internet, qui privilégie l'information gratuite et spontanée, véhiculée par d'innombrables sites et les internautes. Mais c'est une information constituée d'opinions et de rumeurs, rarement de véritable recherche. La véritable information ne peut se passer de véritables rédactions, avec de vrais moyens. Et ça, ça ne peut pas être gratuit.»

Bernard Poulet, La fin des journaux et l'avenir de l'information, 217 pages, Gallimard 2009.