Encore sous le choc, le Pakistan pleurait mercredi les 148 morts, la plupart des enfants, massacrés la veille par un commando taliban à Peshawar, un acte condamné dans le monde entier qui fait pression sur Islamabad pour éradiquer ces rebelles.

De nombreux commerces et écoles étaient fermés, et des cérémonies de prières organisées en hommage aux victimes à travers un pays encore abasourdi, où les appels se multipliaient pour faire cesser une bonne fois pour toutes les attentats islamistes.

L'attaque de Peshawar est l'acte terroriste le plus meurtrier de l'histoire du Pakistan, une triste performance dans un pays où les attentats ont causé la mort de plus de 7000 personnes depuis 2007 et l'émergence des talibans locaux du TTP, auteurs du massacre.

Elle a été condamnée avec émotion à travers le monde, jusqu'au pape François qui a demandé à Dieu de «convertir le coeur des violents».

Pressé d'agir, le premier ministre Nawaz Sharif a pris dès mercredi matin une mesure symbolique forte en annonçant la levée du moratoire sur la peine de mort, en vigueur depuis 2008, dans les cas de terrorisme.

Autre initiative, la soudaine visite à Kaboul du chef de l'armée pakistanaise, le général Raheel Sharif, pour parler de coopération antiterroriste avec son voisin afghan et lui demander d'arrêter les combattants du TTP réfugiés, selon lui, dans le Nord-Est afghan, d'où ils planifient leurs attaques.

En attaquant une école fréquentée par des enfants de militaires, le TTP a déclaré s'être vengé de l'armée pakistanaise qui a lancé en juin dernier une offensive d'ampleur à son encontre dans son bastion du Waziristan du Nord, près de la frontière afghane.

«Tuez-les tous!»

Le porte-parole de l'armée pakistanaise, le général Asim Bajwa, a fait état mercredi d'un bilan de l'attaque de 148 morts, dont 132 écoliers, contre 141 la veille.

Au premier des trois jours de deuil national décrété après ce «massacre des innocents», selon la presse locale, toutes les écoles publiques et privées sont restées closes dans la province du nord-ouest de Khyber Pakhtunkhwa, où a eu lieu l'attaque.

Nombre des morts dans l'attaque, pour la plupart des élèves dans leurs uniformes verts ensanglantés, ont été inhumés entre mardi soir et mercredi.

Ceux qui en ont réchappé ont raconté l'horreur vécue comme Ahmad Faraz, 14 ans, blessé et soigné dans un hôpital de Peshawar «C'était comme dans un western», a raconté à l'AFP celui qui était en cours avec 250 autres élèves lorsque les talibans ont fait irruption dans l'amphithéâtre.

Vêtus d'uniformes de paramilitaires et ceints de vestes chargées d'explosifs, ils ont commencé à «tirer sans discontinuer, de droite à gauche et de gauche à droite» en criant «Allahu  Akbar!» («Dieu est grand»), se rappelle-t-il.

«La salle s'est emplie de cris et de pleurs (...) Puis un taliban a dit aux autres : «Il en reste qui se cachent sous les bancs et les bureaux, tuez-les tous!». Ils ont alors commencé à nous tuer un par un, c'était un cauchemar, j'entendais les cris à chaque balle qu'ils tiraient».

Blessé par balle à l'épaule, il fait le mort, avant de s'évanouir. Il a eu de la chance : il s'est réveillé à l'hôpital, miraculé.

Poison idéologique

Face au choc et sous pression, Nawaz Sharif a présidé mercredi à Peshawar une conférence nationale rassemblant tous les partis politiques qui a condamné l'attaque sans équivoque.

Le Pakistan est depuis longtemps accusé de faire un distinction entre les combattants islamistes, entre les «bons» qui ne s'attaquent pas à lui et qu'il utiliserait pour défendre es intérêts stratégiques, comme les talibans afghans, et les «mauvais» comme le TTP qui le combattent au Pakistan.

Dans leur déclaration finale, les participants à la conférence des partis ont promis «de manière claire qu'il n'y (aurait) plus aucune distinction entre bons et mauvais talibans» et réaffirmé leur volonté de «continuer la guerre jusqu'à la disparition des derniers terroristes du pays».

Mais nombre d'observateurs soulignent qu'il faudra bien plus que des incantations et des opérations militaires ciblées pour éradiquer du Pakistan l'idéologie islamiste et s'assurer que l'État et ses diverses chapelles lui tournent définitivement le dos.

Héritée notamment de décennies de conflits avec l'Inde et dans l'Afghanistan voisin, la pensée islamiste est bien implantée et influente dans ce pays pauvre de près de 200 millions d'habitants.

Pour le journaliste pakistanais Raza Rumi, cette idéologie résiliente «nourrit une tolérance à l'égard des crimes commis au nom de l'islam» dans la société pakistanaise.

En outre, «beaucoup de partis politiques pakistanais craignent de perdre des voix en soutenant une action trop forte contre les groupes extrémistes, car ceux-ci bénéficient d'un important soutien dans la société», note l'analyste politique Hasan ASkari.

Les talibans afghans condamnent

Les talibans afghans, eux-mêmes auteurs de nombreux attentats sanglants, ont condamné mercredi l'attaque de leurs frères d'armes talibans pakistanais, en soulignant que «le meurtre prémédité d'innocents est contraire aux principes de l'islam».

«L'Émirat islamique d'Afghanistan (nom officiel des talibans afghans, NDLR) exprime ses condoléances) à la suite de cet incident et pleure avec les familles des enfants tués», a déclaré leur porte-parole Zabihullah Mujahid dans un communiqué.

«Le meurtre prémédité d'innocents, de femmes et d'enfants est contraire aux principes de l'islam», ont ajouté les talibans afghans, alliés occasionnels des talibans pakistanais le long de la frontière, mais qui cantonnent leurs attaques à l'Afghanistan.

La rébellion afghane affirme également qu'elle a «toujours condamné les meurtres d'enfants et de civils innocents» y compris l'attentat ayant fait 50 morts le mois dernier lors d'un match de volley-ball dans la province de Paktika (sud-est), frontalière du Pakistan.

Le nouveau président afghan Ashraf Ghani, qui s'est rendu le mois dernier à Islamabad afin de resserrer les liens avec le Pakistan dans l'espoir de stabiliser la région après le retrait, à la fin du mois, de l'essentiel des soldats de l'OTAN, avait mardi vivement condamné l'attaque de Peshawar.

Le chef de l'armée pakistanaise à Kaboul

Le chef l'armée pakistanaise s'est rendu mercredi à Kaboul pour parler de coopération antiterroriste avec ses homologues afghans, au lendemain de l'attaque perpétrée par des talibans soupçonnés d'être basés le long de la frontière entre les deux pays.

Souvent décrit comme l'homme le plus puissant du Pakistan, le général Raheel Sharif, accompagné du chef des services de renseignements, est arrivé à Kaboul, selon des responsables locaux, où il doit rencontrer le président afghan Ashraf Ghani et le commandant de la force de l'OTAN, le général John Campbell.

Selon des sources proches du dossier, cette visite décidée après l'attaque vise à doper la coopération entre les deux pays pour lutter contre les rebelles islamistes talibans présents des deux côtés de la poreuse frontière entre les deux pays.

Kaboul et Islamabad s'accusaient régulièrement l'un l'autre de soutenir ou laisser prospérer sur leur sol leurs ennemis talibans, afghans au Pakistan ou pakistanais en Afghanistan. Mais le ton entre les deux pays est devenu plus conciliant depuis l'arrivée au pouvoir d'Ashraf Ghani en septembre dernier, des responsables évoquant un «nouveau départ» dans les relations.

Une partie des troupes du TTP, dont son chef, le mollah Fazlullah, est réfugiée de l'autre côté de la frontière, dans les montagnes de l'Est afghan, d'où il continue de planifier des attaques au Pakistan, selon des sources concordantes.

Un responsable militaire pakistanais a suggéré que certains des assaillants de Peshawar avaient des liens de l'autre côté de la frontière afghane. «Le chef de l'armée (pakistanaise) veut évoquer ces questions avec le commandement afghan», a-t-il ajouté.

Pour le haut gradé pakistanais à la retraite et analyste Talat Masood, «le général Sharif souhaiterait renforcer la coopération directe entre les armées et services de renseignements des deux pays» et «voir le mollah Fazlullah et ses hommes arrêtés et livrés au Pakistan, pour ne plus qu'ils utilisent le sol afghan pour lancer des attaques contre le Pakistan comme celle de mardi à Peshawar».

Mais «la visite de Raheel Sharif en Afghanistan n'est rien d'autre qu'une manoeuvre des Pakistanais pour faire pression sur le gouvernement afghan et dire au monde entier que les responsables de l'attaque de Peshawar sont basés en sol afghan», a commenté de son côté Atiqullah Amarkhail, un ex-général de l'armée afghane.