L'exode des Cambodgiens quittant précipitamment la Thaïlande pour rentrer chez eux a dépassé lundi les 150 000 personnes, après l'annonce par la junte d'une opération de lutte contre l'immigration illégale qui semble pour l'heure très ciblée.

À l'important poste-frontière d'Aranyaprathet-Poipet, des centaines de ces hommes, femmes et enfants attendaient lundi que des camions les acheminent dans leurs régions d'origine.

En un peu plus d'une semaine, ils sont plus de 150 000 à être ainsi rentrés, selon le dernier décompte lundi soir des autorités cambodgiennes.

Cela représenterait quasiment l'ensemble des Cambodgiens vivant de façon illégale en Thaïlande : ils sont entre 150 000 et 180 000 selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM).

La route de Poipet était encombrée lundi de camions mis à disposition par l'armée cambodgienne pour prendre en charge ces travailleurs illégaux, souvent sans argent pour payer leur voyage de retour.

«Peur d'être arrêtée»

«J'ai décidé de rentrer parce que j'avais peur d'être arrêtée par l'armée thaïlandaise», explique parmi eux Seng Phoan, 28 ans, ex-ouvrière sur un chantier de construction en Thaïlande.

Aucun afflux comparable n'a été signalé à la frontière de la Birmanie ou du Laos, qui, avec le Cambodge, fournissent traditionnellement une main-d'oeuvre bon marché à la Thaïlande pour des secteurs clefs de son économie comme la pêche, l'agriculture ou la construction. La plupart du temps sans permis de travail.

Alors que les Birmans sont de loin le premier groupe d'immigrés, y compris clandestins, en Thaïlande, l'apparent ciblage de l'opération anti-travailleurs illégaux suscite des interrogations.

Les autorités cambodgiennes n'ont en effet eu de cesse depuis le coup d'État du 22 mai de démentir des rumeurs de formation sur leur sol d'un gouvernement en exil des partisans de l'ex-première ministre Yingluck Shinawatra et de son frère Thaksin, lui aussi chassé du pouvoir par un coup d'État en 2006.

S'ajoutent à cela la proximité longtemps affichée entre Thaksin et le premier ministre cambodgien Hun Sen, ainsi que la présence présumée au Cambodge de meneurs des Chemises rouges, puissant mouvement pro-Thaksin réduit au silence depuis le coup d'État.

«Je soupçonne que le retour en masse des Cambodgiens (...) reflète la relation politique délicate entre la Thaïlande et le Cambodge, avec la question des chemises rouges et de Thaksin», analyse Andy Hall, expert des questions de migrations en Asie du Sud-est.

La junte parvenue au pouvoir par un coup d'État le 22 mai en Thaïlande a annoncé mercredi dernier une politique d'immigration stricte, avec expulsion des clandestins.

Mais elle a démenti les «rumeurs de répression et de retour forcé» des Cambodgiens en situation irrégulière.

Cela n'a pas empêché les bruits de mauvais traitements lors de raids militaires de pousser les Cambodgiens au départ, avec l'assistance parfois des autorités thaïlandaises, qui ont même organisé des convois pour «faciliter les retours volontaires» vers le Cambodge.

Lundi, le général Sirichai Ditakul s'est rendu à Samut Sakhon, région du sud de Bangkok réputée pour son industrie de la pêche, secteur qui emploie une importante main-d'oeuvre étrangère, souvent en toute illégalité et dans des conditions très précaires.

Il y a défendu devant la presse l'idée de «zones» économiques où les immigrés seraient autorisés à travailler.

Samu Sakhon et Ranong, toutes deux tournées vers l'industrie de la pêche, ont été sélectionnées comme des «provinces pilotes» pour la création de ces zones, qui seront mises en place par le «comité de résolution des problèmes d'immigration» nouvellement créé.

Par le passé, les autorités fermaient les yeux sur la présence de clandestins, nécessaires à une économie en plein essor.

Mais la situation a changé et l'économie s'est contractée au premier trimestre (-0,6 %), pour la première fois depuis 2011, sous l'effet de longs mois de crise politique et de manifestations.