Dans une vidéo clandestine tournée au nez et à la barbe des autorités, un célèbre avocat et militant chinois des droits de l'Homme dénonce ses conditions d'assignation à résidence, surveillé 24 heures sur 24 par une soixantaine de vigiles qui se relaient.

Le film d'une durée d'une heure a été réalisé en cachette dans la petite ferme aux murs décrépits où Chen Guangcheng, aveugle depuis l'enfance, réside avec sa femme et leur fils. Il y fustige «les méthodes de voyous» à son encontre.

Ce document, qui montre les premières images de Chen en cinq mois, a été diffusé par une organisation de défense des droits de l'Homme, China Aid Association, après l'avoir obtenu d'une «source gouvernementale fiable».

Il permet d'imaginer l'enfer au quotidien vécu par de nombreux militants chinois, telle Liu Xia, l'épouse du prix Nobel de la paix Liu Xiaobo, qui, tout en étant théoriquement libres sont en fait soumis par la contrainte à l'isolement.

La vidéo, dont au moins une séquence a été postée sur YouTube, débute au petit matin par le témoignage de Yuan Weijing, la femme de Chen Guangcheng. Elle décrit comment les gardes sont positionnés autour de leur logis.

Par dessus la haie du jardin apparaît la tête d'un homme en noir qui épie les faits et gestes de la maisonnée.

«Afin de bloquer leur regard, j'ai empilé des tiges de maïs devant la fenêtre, mais ils ont installé un escabeau et de là-haut ils nous observent», raconte Mme Yuan, tandis que retentissent les cris d'un coq.

Les vigiles sont selon elle en permanence postés aux quatre coins de la maison. «Ils ont pour instruction de surveiller chaque jour ce que nous faisons».

Chen Guangcheng, portant un blouson foncé et ses éternelles lunettes noires, relate ensuite les intimidations continuelles exercées par la police contre ses voisins. À ceux-ci, les policiers ont assuré que l'avocat était un «traître» et un «contre-révolutionnaire».

Dans ce bourg rural de la province du Shandong (est) se relaient trois équipes de 22 vigiles, chargées d'empêcher un éventuel contact avec l'extérieur du juriste autodidacte. Le village est truffé de systèmes de vidéosurveillance et les communications des téléphones portables y sont bloquées.

C'est dans cette région que M. Chen est devenu célèbre, en prenant la défense de femmes qui avaient subi des stérilisations ou des avortements forcés.

Les gardes reçoivent leurs instructions du parti communiste au pouvoir et du ministère de la Sécurité d'État, affirme dans la vidéo l'«avocat aux pieds nus», âgé de 39 ans.

«Les forces conservatrices du parti communiste sont tombées au plus bas, bafouant ouvertement la constitution et les lois pour réprimer les villageois et ceux qui luttent pour les droits», dénonce-t-il.

«Elles utilisent des méthodes de voyous», dit encore le militant que l'hebdomadaire américain Time avait placé en 2006 dans sa liste des «100 personnalités qui façonnent notre monde».

Il s'agit des premières paroles publiques de Chen Guangcheng depuis le 9 septembre 2010, jour où il avait été libéré de prison après y avoir passé plus de quatre années. Il avait été condamné pour «atteinte délibérée à la propriété» et «trouble à l'ordre public», à la suite d'une manifestation en sa faveur.

Selon China Aid Association, la vidéo «montre que M. Chen vit dans des conditions indignes, coupé du reste du monde et détenu illégalement à domicile».

«J'ai quitté une prison étroite pour une plus grande», résume M. Chen, qui figurait parmi les candidats au prix Nobel de la paix 2010, finalement décerné à Liu Xiaobo, dissident emprisonné.

Le mois dernier, la secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton s'est publiquement inquiétée du sort de Chen Guangcheng, juste avant la visite à Washington du président chinois Hu Jintao.