Les Australiens ont clairement rejeté samedi une réforme des droits des Aborigènes, soumise par référendum, à l’issue d’une campagne acrimonieuse qui a creusé les divisions raciales dans le pays-continent.

Après le comptage des bulletins dans les trois quarts des bureaux de vote du pays, 55 % des électeurs avaient voté Non au texte qui proposait de reconnaître dans la Constitution les Aborigènes comme les premiers habitants de l’île-continent et de leur donner une « voix » spécifique.

Le projet prévoyait de créer un conseil consultatif – « la voix » – auprès du Parlement et du gouvernement pour donner des avis sur les lois et les politiques publiques qui touchent les populations autochtones, Aborigènes et insulaires du détroit de Torres, qui représentent 984 000 personnes, soit 3,8 % de la population australienne.

« Ce soir, je tiens à reconnaître que pour de nombreux Aborigènes et insulaires du détroit de Torres, cette campagne a été un fardeau lourd à porter. Et ce résultat sera très difficile à supporter », a déclaré le premier ministre de l’Australie Anthony Albanese.

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Australian Prime Minister Anthony Albanese speaks with to the media at Balmain Public School polling station in Sydney on October 14, 2023, as polls open in Australia's historic Indigenous rights referendum. (Photo by Saeed KHAN / AFP)

D’abord largement majoritaire, le camp favorable au changement de la Constitution de 1901 n’a cessé de perdre du terrain ces derniers mois, en raison notamment de la campagne menée par l’opposition conservatrice, dirigée par l’ancien ministre de la Défense Peter Dutton.

Pour le camp conservateur, la réforme constituait un bricolage constitutionnel et aurait créé des divisions au sein de la société en créant une distinction de citoyenneté.

« C’est un résultat difficile, un résultat très difficile », a déclaré le directeur de la campagne « Yes23 » Dean Parkin.

« On a fait tout ce qu’on a pu, et nous allons y revenir », a-t-il assuré.

La campagne avait entraîné une avalanche de commentaires racistes sur les médias en ligne.

De fausses informations ont aussi circulé, certaines affirmant que les titres de propriété pourraient être remis en cause ou que des réparations devraient être versées si la réforme passait.

Pour les partisans de la voix, cette réforme devait contribuer à panser les plaies encore vives d’un passé de colonisation et de répression raciale.

Aujourd’hui, plus de 200 ans après la colonisation britannique, les Australiens autochtones, dont les ancêtres vivent sur le continent depuis au moins 60 000 ans, ont les mêmes droits que les autres citoyens, mais ils souffrent toujours de fortes inégalités.

« Jour de la honte »

Partisane du « Oui », Karen Wyatt, 59 ans, avait estimé avant le scrutin que si « la voix » était rejetée, ce serait « un jour de honte pour l’Australie ».

Dee Duchesne, 60 ans, qui a fait campagne pour le Non, a expliqué vouloir « éviter qu’une couche supplémentaire de bureaucratie ne s’ajoute à notre Constitution ».

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Une affiche de la campagne pour le oui vandalisée

Elle confiait avoir été traitée de raciste alors qu’elle distribuait des tracts près d’un bureau de vote de Sydney. « Je ne le suis pas », affirme-t-elle.

Le chef aborigène Thomas Mayo a dit sa colère contre ceux qui ont fait campagne pour le Non.

Ils ont menti aux Australiens. Cette malhonnêteté ne devrait pas être oubliée par le peuple australien. Il devrait y avoir des répercussions pour ce type de comportement dans notre démocratie, ils ne devraient pas pouvoir s’en sortir comme ça.

Thomas Mayo, chef aborigène

Le premier ministre de centre gauche, Anthony Albanese, qui s’était beaucoup impliqué dans la campagne, avait lancé samedi un dernier appel aux électeurs, qui ne l’ont pas entendu. « Il s’agit du respect des Aborigènes australiens. Il s’agit de la façon dont nous nous voyons en tant que nation, mais aussi de la façon dont le monde nous voit », avait-il plaidé.

Le vote était obligatoire pour les 17,5 millions d’électeurs australiens.

Pour être adoptée, la réforme devait recueillir non seulement une majorité de votes au niveau national, mais aussi dans au moins quatre des six États du pays. Elle n’a obtenu ni l’un ni l’autre.