La dernière fois que les Néo-Zélandais ont voté lors d’élections générales, ils ont choisi entre deux femmes qui se disaient féministes. Trois ans plus tard, pour montrer à quel point le pendule a changé, ils choisiront entre deux hommes prénommés Chris.

À l’approche des élections du mois prochain, et 130 ans après que la Nouvelle-Zélande est devenue le premier pays à accorder le droit de vote aux femmes, le paysage politique est à bien des égards méconnaissable par rapport à l’époque de l’ancienne première ministre Jacinda Ardern, dont la défense des droits des femmes et du contrôle des armes à feu a transformé l’image de son pays à l’étranger.

Des questions telles que l’équité salariale, la pauvreté des enfants et la prévention de la violence familiale et du harcèlement ont rarement été abordées dans la campagne actuelle. Les femmes politiques de tous horizons disent aujourd’hui qu’elles reçoivent des insultes extraordinaires de la part d’une frange misogyne et parfois effrayante de la population. Certaines femmes disent qu’elles n’ont pas cherché à se faire élire parce qu’elles craignaient pour leur sécurité.

Le prochain gouvernement sera probablement beaucoup moins diversifié que celui dirigé par Mme Ardern, et le plus conservateur depuis une génération. Les sondages suggèrent que le Parti travailliste de centre gauche de Mme Ardern et son successeur au poste de premier ministre, Chris Hipkins, seront écartés. L’actuel chef de l’opposition, Christopher Luxon, du Parti national de centre droit, devrait former un gouvernement de coalition avec Act, un parti libertaire.

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Le chef du Parti national, Christopher Luxon, lors d’un évènement de campagne électorale de son parti, plus tôt ce mois-ci

« On a l’impression que la politique ici est tout simplement différente », a déclaré Michelle Duff, qui a écrit une biographie de Mme Ardern et qui vit à Wellington, capitale de la Nouvelle-Zélande.

On a le sentiment que cette période de la politique est effrayante pour les femmes, ce qui est incroyablement décevant quand on pense à l’espoir que l’on avait.

Michelle Duff, journaliste et autrice

Problèmes insolubles

Il s’agit d’un héritage intimidant pour Mme Ardern, qui est devenue une icône libérale mondiale, mais dont le gouvernement a été critiqué dans son pays pour ne pas avoir apporté le changement transformationnel qu’il avait promis.

Après avoir guidé la Nouvelle-Zélande à travers de multiples crises, Mme Ardern a été réélue haut la main en 2020. Elle a été félicitée pour sa réaction face au coronavirus, mais l’opinion publique a fini par s’émousser sur la manière dont le pays s’est remis de la pandémie.

Même si sa popularité personnelle est restée élevée, son gouvernement s’est débattu avec les problèmes apparemment insolubles du logement, de l’inflation et de la hausse de la criminalité.

En janvier, Mme Ardern a annoncé qu’elle quitterait la vie politique après cinq ans et demi de mandat. « Je sais ce que ce travail exige et je sais que je n’ai plus assez d’énergie pour lui rendre justice », avait-elle déclaré à l’époque à la presse.

Depuis son départ, son parti a trébuché. Quatre ministres de premier plan ont démissionné soudainement et, dans certains cas, de manière spectaculaire, l’un d’entre eux faisant face à des difficultés juridiques et un autre ayant fait défection vers un autre parti.

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Le premier ministre et leader du Parti travailliste, Chris Hipkins, lors du lancement de la campagne électorale de son parti

Critiques

Lorsque Mme Ardern s’est officiellement retirée de la vie politique en avril, Heather du Plessis-Allan, commentatrice politique conservatrice en Nouvelle-Zélande, l’a décrite comme « l’un des pires » premiers ministres de l’histoire du pays et s’est demandé si elle avait accompli quoi que ce soit au cours de son mandat.

« Elle n’a laissé derrière elle aucune réalisation digne d’être mentionnée », a écrit Mme du Plessis-Allan.

Les défenseurs de la cause des femmes ne sont pas d’accord.

Sous la présidence de Mme Ardern, la Nouvelle-Zélande a étendu le congé parental rémunéré de quatre à six mois, décriminalisé l’avortement, introduit des produits menstruels gratuits dans les écoles et renforcé les lois sur l’équité salariale et la violence familiale. Son gouvernement était le plus diversifié de l’histoire de la Nouvelle-Zélande – plus de la moitié des législateurs en poste sont des femmes. La réponse de premier plan qu’elle a apportée à la pandémie de coronavirus a épargné au pays les fermetures prolongées qui, ailleurs, ont contraint de nombreuses femmes à quitter leur emploi rémunéré pour assumer davantage de responsabilités en matière de garde d’enfants.

« L’histoire de son leadership sera transmise de génération en génération, notamment par les femmes », a commenté Marilyn Waring, ancienne membre du Parti national.

Le fait d’avoir été une petite fille qui a grandi alors que Jacinda Ardern était première ministre aura été incroyable.

Marilyn Waring, ancienne membre du Parti national

Mais là où certains voient une source d’inspiration dans sa « politique de la gentillesse », d’autres y voient une menace.

« Dès que Jacinda a montré un style de leadership différent, plus féminin par nature que ce que d’autres personnes ont été autorisées à faire, il y a eu un énorme retour de balancier », a déclaré Suzanne Manning, présidente du National Council of Women of New Zealand (Conseil national des femmes de Nouvelle-Zélande). « Le but est de réduire les femmes au silence », et certaines ont décidé de rester en dehors de la politique pour des raisons de sécurité, a-t-elle ajouté.

Harcèlement pour toutes

Marama Davidson, codirigeante du parti de gauche des Verts, a ressenti le changement.

« En tant que femme brune en politique, les choses sont particulièrement hostiles », a déclaré Mme Davidson, qui est maorie. Toutes ses apparitions publiques sont désormais contrôlées au préalable par le personnel de sécurité.

Nicola Willis, dynamique vice-présidente du Parti national, dont on attend beaucoup pour diriger son parti à l’avenir, a déclaré que les abus touchaient les femmes de tout l’échiquier politique.

« J’ai reçu toutes sortes d’insultes – “vache pourrie”, le “mot commençant par B”, des adjectifs de choix », a-t-elle déclaré l’année dernière à la radio publique Radio New Zealand.

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Nicola Willis, vice-présidente du Parti national

Les gens me disaient, lorsque j’étais en colère à propos de quelque chose, que ce devait être le moment du mois. J’ai appris à en rire la plupart du temps, mais, bien sûr, ce n’est pas correct.

Nicola Willis, vice-présidente du Parti national

Les questions relatives aux femmes, qui étaient au cœur du programme de Mme Ardern, n’ont guère été abordées dans la campagne électorale des deux principaux partis. La question du congé parental rémunéré pour les parents qui n’ont pas donné naissance à un enfant a eu du mal à trouver un élan ou un consensus, les législateurs de tous bords ayant entravé les efforts des uns et des autres.

Cette situation inquiète des experts et expertes comme Mme Manning, qui craignent que le prochain gouvernement ne revienne sur des acquis obtenus de haute lutte et résultant d’années de consultation.

Le travail constant de Mme Ardern sur ces questions a finalement permis de sortir plus de 75 000 enfants néo-zélandais de la pauvreté, même si son parti n’a pas atteint l’objectif qu’il s’était fixé, à savoir 100 000 enfants, a déclaré M. Duff, sa biographe. « Il ne faut pas non plus sous-estimer la nature symbolique de ce qu’elle a fait pour inciter les femmes à se lancer dans la politique », a-t-elle ajouté.

Cet article a été publié à l’origine dans le New York Times.

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