Deux condamnés à mort ont été exécutés cette semaine dans la cité-État, où le système pénal est « inhabituellement strict »

À Singapour, une condamnation pour trafic de stupéfiants mène à la peine de mort. La pendaison de deux condamnés cette semaine, dont une première femme en près de 20 ans, a de nouveau braqué les projecteurs sur la ligne dure adoptée par le gouvernement dans sa lutte contre la drogue.

Ce qu’il faut savoir

Cette semaine, Singapour a exécuté une femme et un homme, tous deux condamnés pour trafic de stupéfiants.

Jusqu’ici, quatre personnes ont été exécutées cette année et 11 l’an dernier, après une pause en 2020 et 2021, en raison notamment de la pandémie de COVID-19.

Singapour est un des quatre pays dans le monde à condamner à mort des personnes reconnues coupables d’un délit en lien avec les stupéfiants.

Saridewi Djamani, 45 ans, a été exécutée vendredi. Condamnée en 2018, elle était l’une des deux femmes dans le couloir de la mort à Singapour, sur une cinquantaine de prisonniers actuellement en attente de leur exécution, a précisé à La Presse Kirsten Han, membre du regroupement contre la peine de mort Transformative Justice Collective, jointe à Singapour au téléphone.

PHOTO FOURNIE PAR KIRSTEN HAN

Kirsten Han milite depuis plusieurs années au sein de mouvements opposés à la peine de mort à Singapour.

Contrairement à d’autres pays, Singapour utilise la peine de mort principalement pour des infractions non violentes liées à la drogue. Toutes les exécutions l’année dernière et cette année sont en lien avec la drogue. Il y a très peu de cas d’homicide.

Kirsten Han, membre du Transformative Justice Collective

Saridewi Djamani avait en sa possession 31 g d’héroïne lorsqu’elle a été arrêtée. Le trafic de plus de 500 g de cannabis ou de 15 g d’héroïne conduit automatiquement à la peine de mort dans la cité-État de 6 millions d’habitants.

À contre-courant

Singapour est l’un des quatre États dans le monde, avec la Chine, l’Iran et l’Arabie saoudite, à avoir recours au châtiment capital pour des infractions liées à la drogue, selon Amnistie internationale.

« Ça va à contresens de toutes les tendances mondiales sur le plan de la peine par rapport aux stupéfiants », affirme au téléphone Charles Perroud, coordonnateur bénévole et responsable du dossier de la peine de mort à Amnistie internationale Canada. Il souligne que les récentes condamnations visent somme toute de « petites quantités » de drogue et que les condamnés ne sont pas des acteurs importants du trafic de stupéfiants.

À l’échelle mondiale, les pays sont aussi de plus en plus nombreux à revoir le recours à la peine de mort, note-t-il.

Cette semaine, le Ghana a voté la fin des exécutions pour les crimes « ordinaires ». La Malaisie, pays voisin de Singapour, a aboli au printemps dernier la peine de mort automatique pour différentes infractions, dont le trafic de drogue.

Fermeté

Mais Singapour ne semble pas enclin à suivre cette tendance.

« Contrairement à d’autres pays, Singapour n’est pas embarrassé par sa fermeté contre le crime, c’est au contraire une partie de son identité », explique Nomi Claire Lazar. La professeure titulaire à l’Université d’Ottawa a passé environ quatre ans dans la cité-État, travaillant notamment au développement d’un programme de droit et arts libéraux en partenariat entre l’Université nationale de Singapour et Yale.

Elle rappelle qu’au moment de son indépendance, en 1965, le taux de crimes était très élevé à Singapour. Le gouvernement a voulu transformer l’île en modèle de propreté et de sécurité. « Ce qui explique en quelque sorte comment Singapour s’est retrouvé avec un système judiciaire pénal inhabituellement strict pour certains types de crimes », ajoute Mme Lazar.

Soutien et répression

Environ 75 % de la population de Singapour soutient la peine de mort, selon les sondages du pays. Si la cité-État a été dénoncée, notamment par Reporters sans frontières, pour sa répression de la liberté d’expression, Mme Lazar croit que les sondages reflètent bien l’opinion publique – spécifiant que les gens peuvent critiquer les politiques, mais doivent être prudents dans leurs critiques des politiciens.

Il n’y a aucune raison de croire que les gens n’ont pas donné leurs vraies opinions. Mais comment ils ont formé cette opinion, ça, c’est autre chose.

Nomi Claire Lazar, de l’Université d’Ottawa

Le gouvernement met de l’avant la fermeté de son système comme une digue contre les problèmes vécus dans d’autres pays. Le ministre des Affaires étrangères et de la Justice de Singapour, Shanmugam Kasiviswanathan, a ainsi réagi sur sa page Facebook en septembre dernier à un reportage sur la crise des opioïdes aux États-Unis, accusant une fraction de militants singapouriens d’ignorer « les effets pernicieux et nocifs » des drogues et de vouloir voir la société « fragilisée et minée » en se portant à la défense de trafiquants de drogue.

Il reste difficile pour des militants de s’exprimer publiquement contre la peine de mort, témoigne Kirsten Han, qui confie faire l’objet de deux enquêtes policières ouvertes par rapport à ses activités. « C’est un environnement très hostile », dit-elle.

Son organisme accompagne les détenus et leur famille. La peine de mort étant automatique en cas de trafic de drogue, les recours restent difficiles pour les condamnés, note Mme Han.

« À Singapour, vous êtes vu comme ayant droit à une représentation légale pendant le procès et l’appel, mais ensuite, si vous voulez rouvrir le dossier, c’est très difficile, explique-t-elle. Les avocats sont de plus en plus réfractaires à prendre les dossiers, parce que, parfois, ils se font accuser d’abuser du système juridique et ils peuvent devoir payer des amendes. »

Avec l’Agence France-Presse