(Pékin) La spectaculaire rébellion avortée du groupe Wagner ce week-end a renforcé en Chine le sentiment que son partenaire russe, stratégique pour contrer l’influence de l’Occident, n’est pas aussi stable qu’espéré, estiment des analystes.  

Pékin, embarrassé par l’invasion de l’Ukraine menée par la Russie depuis février 2022, maintient toutefois son soutien diplomatique et économique à Moscou, frappé de sanctions économiques occidentales et isolé sur la scène internationale.

Le président chinois Xi Jinping s’est ainsi rendu en mars à Moscou, où il a déclaré devant son homologue Vladimir Poutine que les relations bilatérales « entraient dans une nouvelle ère ».

Dans ce contexte, après le soulèvement par des mercenaires du groupe privé russe Wagner, Pékin a réagi dimanche en assurant soutenir les efforts de la Russie pour « protéger la stabilité » du pays face à une mutinerie qui, estime le géant asiatique, relève d’une « affaire intérieure ».

Le chef de Wagner, Evguéni Prigojine, qui avait mené ses hommes à moins de 400 km de Moscou, a fait volte-face, retiré ses combattants et accepté de s’exiler en Biélorussie voisine.

Selon des analystes, Pékin a opté pour une approche « attentiste » face à ces évènements, car elle a compris que la rébellion de Wagner mettait en lumière les fissures dans le pouvoir de M. Poutine.

« La Chine avait déjà été surprise par les piètres performances militaires russes en Ukraine », déclare à l’AFP Susan Thornton, ex-secrétaire d’État américaine assistante pour l’Asie de l’Est et le Pacifique sous Donald Trump.

« Cet épisode sera probablement considéré comme un nouvel indicateur de faiblesse », souligne-t-elle.

L’image de Poutine

Les dirigeants chinois considèrent depuis longtemps la Russie comme un partenaire utile et fiable pour contrebalancer l’influence occidentale sur la scène internationale.

Avant la rébellion de Wagner, la Chine « n’avait probablement aucun doute sur le fait que Poutine soit le dirigeant incontesté de la Russie », déclare à l’AFP Victor Shih, expert en politique chinoise à l’université de San Diego aux États-Unis.

Mais après une remise en cause aussi « flagrante » de l’autorité du chef du Kremlin, Pékin « va désormais se pencher sérieusement sur les dynamiques de pouvoir en Russie », souligne-t-il.

La Chine est le premier partenaire économique de la Russie, avec des échanges commerciaux bilatéraux qui ont atteint l’an passé un record à 190 milliards de dollars, selon les Douanes chinoises.

Et le géant asiatique a presque doublé en mai ses importations de pétrole russe par rapport à février 2022, d’après la même source.

Pékin se présente comme neutre face à l’invasion russe. Elle appelle à respecter la souveraineté de tous les pays, sous-entendu Ukraine comprise, mais n’a jamais condamné publiquement l’opération militaire lancée par M. Poutine, s’attirant les critiques des alliés occidentaux de Kyiv.

« Un choc »

« Ça a probablement été un choc pour Pékin, et pour Xi Jinping en particulier, de voir que les mécanismes de défense internes de la Russie ont été mis en échec », déclare à l’AFP Björn Alexander Duben, expert des relations sino-russes à l’université de Jilin en Chine.

Et le pouvoir chinois « voudra certainement en tirer des leçons », souligne-t-il.

Pékin regarde souvent avec inquiétude les épisodes d’instabilité qui agitent son voisin.

La chute de l’URSS et l’instabilité qui s’en est suivie sont souvent citées par les dirigeants chinois comme des exemples à éviter et qui justifient un pouvoir fort.

« La Chine est habituée à ces changements spectaculaires en Russie, même si elle ne les apprécie pas forcément », note Yu Bin, professeur à l’université de Wittenberg en Allemagne.

Certains estiment que la mutinerie de Wagner pourrait pousser Pékin à renforcer sa médiation pour mettre fin à la guerre en Ukraine, afin de ne pas risquer un affaiblissement encore plus prononcé de la Russie.

Mais surtout, « les derniers évènements vont probablement conduire la Chine à avoir une perception au plus bas de la solidité de l’État russe et de la stabilité politique » du pays, souligne M. Shih, de l’université de San Diego.

Selon lui, « c’est un signe clair que l’invasion de l’Ukraine sape la stabilité fondamentale de la Russie ».