(Rangoun, Bangkok) La junte au pouvoir en Birmanie a annoncé jeudi la libération de près de 6000 prisonniers, dont une ancienne ambassadrice britannique, un journaliste japonais et un conseiller australien du gouvernement déchu d’Aung San Suu Kyi.

Ces ressortissants étrangers « sont graciés et expulsés » du pays, a précisé la junte au pouvoir dans un communiqué.

L’ex-diplomate Vicky Bowman, le conseiller économique australien Sean Turnell et le journaliste japonais Toru Kubota ont été « libérés pour marquer la fête nationale » (jeudi), a déclaré à l’AFP un officier supérieur.  

Un quatrième étranger libéré, Kyaw Htay Oo, est un Birman détenant un passeport américain, selon une source officielle. Lui aussi se trouvait dans l’avion qui a atterri à Bangkok avec les autres étrangers. Il a déclaré à l’AFP qu’il était « très heureux ».

Partis de Rangoun, dans la foulée de leur libération, ils sont arrivés à Bangkok par un vol commercial, vers 19 h en heure locale (7 h, HE), a constaté une journaliste de l’AFP.

Toru Kubota, qui a ensuite rejoint Tokyo a exprimé sa gratitude pour sa libération après trois mois et demi en prison.  

« J’ai été libéré si rapidement grâce aux sympathisants au Japon, à la presse et aux responsables gouvernementaux qui ont fait des efforts pour résoudre la situation », a-t-il déclaré à son atterrissage tôt vendredi à l’aéroport de Haneda.  

Trois anciens ministres du gouvernement d’Aung San Suu Kyi, dont deux proches Thein Oo et l’avocat Kyaw Hoe, figurent parmi les personnes libérées, de même que le Dr Myo Nyunt, porte-parole de la NLD (Ligue nationale pour la démocratie), le parti d’Aung San Suu Kyi.

Tous ceux qui ont quitté le pays semblaient en bonne santé au moment de leur arrivée en Thaïlande, a constaté un journaliste de l’AFP.

Cette libération de prisonniers est un rare signe d’ouverture des militaires depuis leur arrivée au pouvoir lors du coup d’État du 1er février 2021. Des milliers de personnes ont été emprisonnées dans le cadre de la répression sanglante de la dissidence qui a suivi.

Trois bus transportant des prisonniers graciés par la junte birmane ont quitté la prison Insein de Rangoun, peu après 15 h locales (3 h 30, HE) et sont passés devant une foule de 200 personnes, ont constaté des journalistes de l’AFP.  

L’amnistie concerne « au total, 5774 prisonniers, dont quelque 600 femmes », a précisé un officier du régime.

Il n’a pas indiqué combien de personnes graciées avaient été arrêtées lors de la répression militaire contre la dissidence.  

Cette décision était réclamée depuis de longs mois par les organisations de défense des droits de la personne, qui pointaient du doigt des condamnations politiques par une junte accusée d’avoir fait plonger le pays dans un conflit sanglant depuis le putsch.

« Blagues » de Sean Turnell

Mme Bowman, en poste entre 2002 et 2006, et son mari, l’artiste birman Htein Lin, ancien prisonnier politique, tous deux arrêtés en août pour avoir enfreint les lois d’immigration, avaient été condamnés à un an de prison. Tous les deux ont bénéficié de l’amnistie, a appris l’AFP.

Le chef de la diplomatie britannique James Cleverly s’est félicité sur Twitter de sa libération, en rappelant que « tous ceux qui sont injustement emprisonnés en Birmanie doivent être libérés ».

M. Turnell, professeur d’économie australien, travaillait en tant que conseiller d’Aung San Suu Kyi lorsqu’il a été arrêté quelques jours après le coup d’État. Il avait été condamné à trois ans de prison pour violation de la loi sur les secrets officiels.

« Je viens de parler à Sean Turnell, qui a été libéré après 650 jours d’emprisonnement injustes […] Il se porte bien », a déclaré aux journalistes le premier ministre australien Anthony Albanese, depuis Bangkok où il se trouve pour le sommet de la Coopération économique Asie-Pacifique (Apec).

« Il faisait des blagues. Il est de mon électorat et s’est excusé de ne pas avoir voté à l’élection. Je lui ai assuré qu’il n’allait pas avoir à payer d’amende », a lancé le dirigeant qui a pris ses fonctions en mai dernier.

Quant à Toru Kubota, 26 ans, arrêté en juillet en marge d’une manifestation anti-junte à Rangoun, il avait été condamné à dix ans d’emprisonnement.

C’était le cinquième journaliste étranger arrêté par la junte depuis le coup d’État, après les Américains Danny Fenster et Nathan Maung, le Polonais Robert Bociaga et le Japonais Yuki Kitazumi, qui ont tous fini par être libérés et expulsés.

« Période incroyablement sombre »

Mais responsables comme experts mettent en garde sur une amnistie en trompe-l’œil, face aux violences qui empirent en Birmanie en dépit des nombreuses condamnations et sanctions de la communauté internationale qui appelle en vain à l’arrêt du conflit.

« C’est un point positif, dans ce qui reste une période incroyablement sombre », a nuancé le secrétaire d’État américain Antony Blinken.

La junte « ne montre aucun signe de réforme et une amnistie de masse ne l’absout pas des atrocités commises depuis le coup d’État », a déclaré auprès de l’AFP l’analyste indépendant David Mathieson.

« Des milliers de personnes emprisonnées depuis le coup d’État […] n’ont rien fait de mal et n’auraient jamais dû être emprisonnées au départ », a déclaré le porte-parole du bureau régional d’Amnistie.

La Nobel de la paix 1991 Aung San Suu Kyi reste incarcérée alors que son procès-fleuve est en cours.

Depuis le coup d’État, plus de 2300 civils ont été tués par les forces de sécurité, selon le décompte d’une ONG locale. La junte accuse pour sa part l’opposition armée de la mort de plus de 3900 civils.