(Rangoun) La junte birmane a exécuté quatre prisonniers, dont un ancien député prodémocratie du parti d’Aung San Suu Kyi et un célèbre opposant ont annoncé lundi les médias d’État, une première application de la peine de mort en Birmanie depuis plus de trois décennies.

Ces quatre personnes avaient été condamnées pour des « actes de terreur brutaux et inhumains » et les exécutions ont suivi « les procédures de la prison », a affirmé le journal d’État Global New Light of Myanmar, sans préciser comment ni quand elles ont eu lieu.

Un porte-parole de la junte n’a pas répondu aux sollicitations de l’AFP.

Depuis le coup d’État militaire du 1er février 2021, des dizaines d’opposants à la junte ont été condamnés à mort, mais aucune exécution n’avait eu lieu jusqu’à présent. Ces exécutions ont suscité de vives condamnations à travers le monde, le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken dénonçant notamment « le mépris total du régime pour les droits de l’homme et l’état de droit ».

Phyo Zeya Thaw, 41 ans, ancien député de la Ligue nationale pour la démocratie (LND), avait été arrêté en novembre et condamné en janvier pour avoir enfreint la loi antiterroriste.

Ce pionnier du hip-hop en Birmanie, dont les paroles critiquaient déjà l’armée au début des années 2000, avait connu la prison en 2008 pour appartenance à une organisation illégale et possession de devises étrangères.  

Il avait obtenu un siège de député lors des élections de 2015, pendant la transition amorcée entre le pouvoir militaire et un gouvernement civil.

La junte l’accusait d’avoir orchestré plusieurs attaques contre le régime, notamment une attaque contre un train dans laquelle cinq policiers avaient été tués en août dernier à Rangoun.

Kyaw Min Yu, 53 ans, dit « Jimmy », était un écrivain et opposant de longue date à l’armée, célèbre pour son rôle dans le soulèvement étudiant de 1988 contre la junte de l’époque. Il avait été arrêté en octobre et condamné en janvier.

« Infractions vagues »

Selon des médias locaux, des membres des familles des deux hommes se sont réunis devant la prison d’Insein à Rangoun, où ils étaient détenus, dans l’espoir de récupérer leurs corps.

Les deux autres prisonniers exécutés sont deux hommes accusés d’avoir tué une femme qu’ils soupçonnaient d’être une informatrice de la junte.

La junte avait fait savoir le mois dernier qu’elle entendait mener à bien ces exécutions, malgré les avertissements de la communauté internationale.

La dernière exécution capitale en Birmanie remontait à 1988, selon un rapport d’experts des Nations unies de juin, qui dénombrait 114 condamnations à mort depuis le coup d’État.

Ces experts avaient averti que les exécutions pourraient s’accélérer faute de réaction de la communauté internationale.

« Actes pervers »

La Haute-Commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme a jugé « cruelle et régressive » la mesure ordonnée par la junte. « Je suis consternée qu’en dépit des appels lancés dans le monde entier, les militaires aient procédé à ces exécutions sans aucun égard pour les droits de l’homme », a dit Michelle Bachelet. Pour le secrétaire général des Nations unies, Antonio Gutteres, ces exécutions « marquent une nouvelle détérioration de la situation des droits de l’homme, déjà désastreuse dans ce pays ».

La France a dénoncé « une régression majeure et une nouvelle étape dans l’escalade des atrocités commises par la junte birmane depuis le coup d’État ».

Ces exécutions « sont des actes de violence répréhensibles qui illustrent une fois de plus le mépris du régime pour les droits de l’homme et l’État de droit », ont condamné, dans une déclaration commune, le chef de la diplomatie de l’UE Josep Borrell, le secrétaire d’État américain Antony Blinken, et les ministres des Affaires étrangères de plusieurs autres pays, dont notamment le Royaume-Uni, le Japon, l’Australie et le Canada.

« En plus des innombrables atrocités contre le peuple birman, la junte militaire a effrontément commis un autre crime outrageux […] ignorant les demandes de la communauté internationale et de ceux qui réclament la justice », a réagi le parti d’Aung San Suu Kyi, la Ligue nationale pour la démocratie, « dévastée » par la nouvelle.

Isolement

« Ces exécutions […] sont un nouvel exemple du bilan atroce des droits de l’homme en Birmanie. […] L’armée va continuer à piétiner la vie des gens tant qu’elle ne sera pas tenue pour responsable », a déclaré Erwin van der Borght, le directeur Asie-Pacifique d’Amnistie internationale.

Ces exécutions risquent d’accentuer l’isolement international des militaires birmans, qui avaient pris le pouvoir par la force le 1er février 2021 sous prétexte de prétendues fraudes aux élections de l’année précédente, remportées de façon écrasante par la LND.

La junte poursuit une répression sanglante, avec plus de 2000 civils tués et plus de 15 000 arrêtés depuis le coup d’État, selon une ONG locale.

Parmi les personnes arrêtées figure l’ancienne dirigeante et prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi, 77 ans, qui fait face à plusieurs accusations pouvant lui valoir jusqu’à 150 ans de prison au total. Le secrétaire général de l’ONU a réitéré son appel à la « libération immédiate de tous les prisonniers détenus arbitrairement, dont le président Win Myint et Aung San Suu Kyi ».