Portrait de quelques citoyens pris dans la tourmente économique et politique ayant ponctué l’arrivée au pouvoir de Javier Milei.

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Andrea Delfino, de TELAM, est contrainte de faire le pied de grue devant l’immeuble où elle travaille normalement.

Arrêt forcé

Andrea Delfino aimerait consacrer ses journées à la couverture de l’actualité économique comme elle le fait depuis des décennies. Mais elle a appris le 4 mars, en même temps que les 750 employés de l’agence de presse TELAM, que le gouvernement argentin avait d’autres priorités. Des policiers se sont déployés ce jour-là devant l’immeuble de l’agence pour empêcher l’entrée du personnel, qui demeure exclu depuis. Le site internet a été bloqué le même jour, privant le public d’une source d’information importante. Le président Javier Milei a expliqué la décision, dénoncée comme une grave atteinte à la liberté d’expression, en accusant l’agence et ses employés de faire de la propagande pour l’opposition péroniste. Les journalistes, dont le professionnalisme est largement reconnu, font le pied de grue depuis devant l’immeuble et revendiquent le droit de reprendre le travail. « TELAM est silencieux, mais n’est pas fermé », souligne Mme Delfino en précisant que ses collègues et elles demeurent payés même s’ils sont contraints à l’inaction. Le nouveau président, dit-elle, ne veut rien savoir de l’État et voudrait à ce titre privatiser l’agence, mais il ne pourra le faire sans obtenir l’aval du Parlement. « Nous savons comment résister aux pressions. Ce n’est pas une résistance passive, on ne va pas rentrer chez nous », prévient-elle.

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Fernando Savore exploite un magasin d’alimentation à Moron, en périphérie de Buenos Aires

Aux premières loges

Fernando Savore gère un petit magasin d’alimentation à Moron, à l’ouest de Buenos Aires. Il connaît bon nombre de ses clients par leurs prénoms et n’hésite pas en temps normal à leur faire crédit jusqu’à la fin du mois. « Mais si je fais ça maintenant, je vais faire faillite, c’est certain », note le commerçant. L’inflation a été si importante en décembre et en janvier que la somme payée pour un produit au début du mois n’était plus qu’une fraction du prix demandé quelques semaines plus tard. « Certaines denrées de base ont doublé, voire quadruplé », note M. Savore, en évoquant notamment l’huile de cuisson. La présence, sous certains produits, d’étiquettes superposées témoigne de la vitesse des changements de prix. Bien que l’inflation semble ralentir, la situation demeure critique pour plusieurs personnes. « Nous sommes un petit magasin ici. Quand les gens prennent quelque chose, c’est parce qu’ils en ont besoin, mais on voit régulièrement des clients qui laissent des produits à la caisse faute d’avoir assez d’argent », dit-il. Le ralentissement de l’inflation ne signifie pas que le problème va disparaître, relève le commerçant, qui n’en est pas à sa première crise. « Aucun président ne peut tout changer en 100 jours », prévient M. Savore.

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Marta Cristina Giordani, une retraitée éprouvée par l’inflation

Une pension qui fond

Marta Cristina Giordani doit faire compromis sur compromis depuis que l’inflation flambe. La pension dont dispose cette retraitée du secteur de la santé n’a pas suivi la hausse généralisée des prix, influant sur son quotidien de nombreuses façons. Elle a dû notamment sabrer son assurance médicale privée, rendue trop chère, compromettant la qualité des soins auxquels elle a accès. La femme de 70 ans a renoncé par ailleurs à manger du bœuf, presque une hérésie dans un pays fou de viande. « Je mange du porc. C’est moins cher et mon médecin m’a dit que c’était mieux pour ma santé », relève Mme Giordani, qui tire un peu de réconfort du fait que le gouvernement de Javier Milei doit réviser à la hausse de 12,5 % les pensions en avril pour combler une partie de l’écart. Santiago Bulat, un économiste connu, note en entrevue que le nouveau gouvernement a épargné des sommes considérables en omettant d’indexer pleinement les pensions. C’est d’ailleurs la principale source d’économies du gouvernement, loin devant la baisse de la masse salariale liée aux coupes de postes de fonctionnaires, la chute draconienne des dépenses d’infrastructure et l’abolition de certaines subventions. L’approche, selon lui, n’est pas soutenable longtemps. Marta Cristina Giordani, qui dit avoir confiance au nouveau président, ne perd pas espoir de voir les choses évoluer positivement. « Mais jusqu’à maintenant, c’est horrible », note-t-elle.