Le discours du président Javier Milei relativement à la dictature argentine ne déplaît pas qu’aux familles de victimes, et Analia Kalinec se fait un devoir de le signaler haut et fort.

« Ce gouvernement rétrograde veut nous faire revenir à l’âge de pierre », note la femme de 44 ans, qui est la fille d’un policier ayant joué un rôle très actif dans la répression.

PHOTO MARC THIBODEAU, LA PRESSE

Analia Kalinec, fille d’Eduardo Kalinec, ex-policier condamné pour plus d’une centaine de crimes violents commis entre 1976 et 1979.

Les procédures judiciaires ciblant Eduardo Kalinec ont révélé qu’il faisait partie d’une cellule chargée d’interroger et de torturer sans pitié les personnes arrêtées, parfois pendant des mois, avant de les assassiner.

Plus d’une centaine de crimes violents commis entre 1976 et 1979 lui ont été reprochés avant sa condamnation à la prison.

À la maison, l’homme ne laissait rien transparaître de la nature exacte de ses activités, note Mme Kalinec, qui se souvient d’une enfance heureuse dans une famille aimante.

30 000

Nombre de desaparecidos, personnes disparues ou tuées, selon plusieurs organisations de défense des droits de la personne

PHOTO FOURNIE PAR ANALIA KALINEC

Analia, jeune, en compagnie de son père

« On voyait mon père comme quelqu’un de très fort, de tout-puissant, qui veillait sur tout. Il y avait Dieu et il y avait mon père », relate l’Argentine en entrevue à Buenos Aires dans un parc adjacent à l’école où elle travaille.

Comme nombre d’enfants élevés dans les milieux policiers et militaires, Analia Kalinec n’était pas consciente de la gravité des crimes commis au nom de la dictature et croyait que leurs actions visaient légitimement à protéger le pays contre des forces d’extrême gauche.

Lorsque son père a été arrêté et incarcéré en 2005, elle a continué à penser, comme ses trois sœurs, qu’il était un homme de bien et le visitait en prison. Sa mère encourageait les enfants à penser qu’il était victime d’une cabale injuste.

Ce n’est qu’en 2008 que Mme Kalinec a eu le courage de se plonger dans le dossier judiciaire et a pris connaissance de la vérité.

Elle a pressé alors l’ex-policier d’avouer ce qu’il avait fait, en vain, avant de se résigner à couper définitivement les ponts.

Sa mère ne lui a jamais pardonné et a continué à défendre son mari, qui a été condamné à la détention à perpétuité, jusqu’à ce que la maladie l’emporte à l’âge de 57 ans.

« Elle a été empoisonnée de l’intérieur », note Mme Kalinec, qui a longtemps eu honte d’évoquer publiquement le rôle de son père.

C’est finalement son fils, en parlant à l’école des actions de son grand-père, qui l’a poussée à mettre cartes sur table.

Ce n’est pas facile puisque les gens tendent à supposer que parents et enfants ont la même idéologie.

Analia Kalinec

La militante a créé une page Facebook à l’époque pour rejoindre d’autres personnes dans la même situation.

Plus de 150 personnes sont aujourd’hui membres du collectif « Histoires de désobéissance », qui entretient des liens avec des enfants de tortionnaires répartis dans plusieurs autres pays d’Amérique du Sud.

Son père, qui a récemment commencé à bénéficier de journées de libération conditionnelle, maintient encore son innocence, relève la militante, qui redoute de voir d’autres Argentins refaire les mêmes erreurs si la mémoire collective du drame s’estompe.

Les lois d’amnistie, levées au début des années 2000, ont longtemps permis aux tortionnaires d’esquiver leurs responsabilités, note Mme Kalinec.

« La société doit connaître ces histoires pour avancer », dit-elle.