(Mexico) Après le Salvador, l’Équateur a lancé cette semaine une guerre contre les cartels et les gangs, une option qui a montré ses lacunes voire ses effets pervers en Colombie et au Mexique, où les autorités tentent d’autres stratégies.

« Conflit armé interne » pour « neutraliser » 22 « groupes terroristes », avec couvre-feu et déploiement de milliers de militaires : soutenu par les États-Unis, l’Équateur a décrété l’état d’exception face à la récente flambée de violences : évasions, prise d’otages.

« Les gouvernements ont recours à cette réponse car ils veulent des réponses immédiates », estime Mathew Charles, de l’Observatoire colombien du crime organisé.

Pendant sa campagne, le président Daniel Noboa avait déjà plaidé pour la militarisation du pays après l’assassinat d’un candidat, rappelle le Think Tank Insight crime.

Le jeune président a aussi annoncé début janvier la construction de deux prisons de haute sécurité, sur le modèle de celles créées au Salvador.

PHOTO HENRY ROMERO, REUTERS

Des soldats fouillent deux hommes dans une rue de Guayaquil.

Gangréné par la violence des gangs, le petit Salvador (six millions d’habitants, 8124 km2) prétend être une référence en matière de sécurité.  

Le président Nayib Bukele a fait emprisonner plus de 73 000 malfrats présumés en vertu d’un état d’urgence très critiqué par les défenseurs des droits humains. Quelque 7000 personnes innocentes ont par la suite été libérées.

Bukele a annoncé un taux d’homicides de 2,4/100 000 habitants en 2023, contre 83/100 000 en 2017 avant son élection. « Le Salvador est officiellement le pays le plus sûr d’Amérique latine », assure le très populaire président, en campagne pour sa réélection.

« Politique antidrogue erronée »

En Équateur, la répression est nécessaire dans l’urgence « mais ne sera visiblement pas suffisante », indique à l’AFP l’ex-président équatorien Rafaël Correa.  

Il plaide pour davantage de « contrôle » en matière de blanchiment d’argent dans son pays, dont l’économie est dollarisée.

La guerre en Équateur contre les gangs « manque d’une stratégie de sortie », ajoute également le think tank Insight Crime.  

« Nous savons que la manière forte ne dure jamais et ne fonctionne que dans l’immédiat », résume l’expert Mathew Charles, de l’Observatoire colombien du crime organisé.

Les criminels « ont toujours des armes » et vont « répondre avec plus de violence », poursuit-il. « Envoyer les gens en prison n’est pas la réponse parce que nous avons vu que dans les prisons, ce sont les gangs qui contrôlent et qui commandent ».

En Colombie tout comme au Mexique, les présidents de gauche ont amorcé un changement de stratégie.

« En Amérique, l’expansion de bandes puissantes internationales est liée à une politique antidrogue erronée », a répété le président colombien Gustavo Petro mercredi, en réagissant sur X (ex-Twitter) à la proposition d’« assistance » des États-Unis à l’Équateur.

« Malgré les énormes efforts entrepris pendant plus d’un demi-siècle », la lutte anti-drogue n’a pas atteint ses buts, a constaté son gouvernement dans un rapport sur les plantations de coca en 2022.

La Colombie reste le premier producteur mondial de cocaïne avec au moins 1738 tonnes en 2022, d’après l’ONU.

« Les pays latino-américains doivent se doter de puissantes politiques en faveur des jeunes », insiste le président colombien, élu en 2022.

Son gouvernement veut sur dix ans (2023-2033) « oxygéner » les territoires touchés par le trafic de drogue, et « asphyxier » les organisations criminelles « qui génèrent la violence ».

« Stratégie de long-terme »

Le Mexique tente également de tourner la page de la « guerre contre la drogue » lancée en décembre 2006 par l’ex-président Felipe Calderon.

Depuis cette date, le nombre des homicides (plus de 400 0000) et des enlèvements (des dizaines de milliers) n’a cessé d’augmenter.

La tentative de « neutraliser » des chefs de cartels a favorisé l’émergence de leaders « plus jeunes », « parfois sans vision stratégique », « plus violents », d’après l’expert en sécurité Erubiel Tirado, de l’université Iberoaméricaine à Mexico.

Au pouvoir depuis décembre 2018, le président Andres Manuel Lopez Obrador a qualifié de « crime » la guerre contre la délinquance lancée par son prédécesseur.

« On ne peut pas affronter la violence par la violence », a-t-il ajouté. Son gouvernement prétend s’attaquer aux causes de la violence avec des programmes sociaux pour réduire la pauvreté.

En même temps, Lopez Obrador a créé un nouveau corps de sécurité, la Garde nationale (en remplacement de l’ex-police fédérale). Et plusieurs barons de la drogue ont été arrêtés pendant son mandat.

« Tous les jours nous arrêtons des délinquants. Et quand il n’y a pas d’autres options, il y a des affrontements », résumait-il le 4 juillet 2022.

Sous son mandat, le taux d’homicide a battu des records à 29 pour 100 000 habitants entre 2018 et 2020, avant de revenir à 25/100 000 en 2022.

L’Amérique latine souffre de « corruption » et d’inégalités sociales, conclut l’expert Mathew Charles, qui plaide donc pour « un programme intégral de sécurité, de lutte anticorruption et d’investissement social. Mais cela demande des stratégies à long terme ».