Les affrontements survenus en Équateur dans les derniers jours marquent le début d’un bras de fer potentiellement déterminant entre le gouvernement et les puissants gangs criminels qui se sont développés grâce au trafic de la cocaïne.

Ce qu’il faut savoir

Le président équatorien, Daniel Noboa, qui avait déclaré l’état d’urgence plus tôt cette semaine, a promis mercredi d’utiliser « tous les moyens nécessaires » pour venir à bout des gangs criminels actifs dans le pays et ramener la sécurité.

Sa volonté affichée d’en découdre est largement soutenue par la population, même si elle risque de se traduire par une multiplication des affrontements violents, souligne un analyste établi à Quito.

La montée en puissance des gangs découle en partie du fait que le pays sert de voie d’exportation à la cocaïne produite au Pérou et en Colombie.

Le président du pays, Daniel Noboa, ex-homme d’affaires de 36 ans sans grande expérience politique, a été élu à la fin de l’année dernière en promettant de lutter contre l’insécurité résultant de leur ascension.

Il s’est dit déterminé mercredi à « prendre tous les moyens nécessaires » pour parvenir à ses fins après avoir déclaré l’état d’urgence en début de semaine et relevé que le pays était en « conflit armé interne », une situation justifiant la « mobilisation des forces armées et de la police nationale » pour « garantir la souveraineté et l’intégrité nationales ».

« C’est une action sans précédent pour une situation sans précédent », a commenté depuis Quito l’analyste politique Sebastian Hurtado.

PHOTO CESAR MUNOZ, ASSOCIATED PRESS

Des soldats vérifient la présence d’armes à un poste de contrôle sur une autoroute à Guayaquil.

Des soldats étaient déployés mercredi dans les rues « quasi désertes » de la capitale, Quito, ainsi qu’à Guayaquil, une grande ville portuaire devenue le principal point d’exportation de la cocaïne produite au Pérou et en Colombie.

« C’est plus tranquille aujourd’hui [mercredi], mais je ne pense pas que ça va durer longtemps », souligne M. Hurtado, qui s’attend à voir les confrontations violentes se multiplier.

Les deux camps se préparent pour la bataille.

Sebastian Hurtado, analyste politique établi à Quito

L’évasion de prison dimanche dernier d’Adolfo Macias, chef des Choneros, l’un des principaux gangs du pays, a profondément « embarrassé » le gouvernement et poussé, dit-il, le président à agir.

Le dirigeant équatorien espère notamment que les autorités pourront reprendre le contrôle des prisons du pays, qui ont été secouées au cours des derniers jours par de multiples émeutes et des prises d’otages de gardiens et de membres du personnel administratif.

Il espère aussi réduire le nombre d’assassinats dans le pays, qui a vu le taux d’homicide augmenter de 500 % en quelques années.

Dégradation de la situation sécuritaire

L’irruption mardi d’un groupe d’hommes armés sur le plateau d’une télévision publique à Guayaquil a attiré l’attention internationale sur la crise frappant le pays, longtemps considéré comme l’un des plus sûrs en Amérique latine.

PHOTO VICENTE GAIBOR DEL PINO, REUTERS

La police a présenté mercredi les détenus qui avaient pris d’assaut la veille un plateau d’une chaîne de télévision publique à Guayaquil.

Will Freeman, un spécialiste de la région rattaché au Council on Foreign Relations, relevait dans une récente analyse publiée en ligne que la détérioration de la situation avait été alimentée, paradoxalement, par un accord de paix.

L’entente ayant mené en 2016 au désarmement des Forces armées révolutionnaires de Colombie, qui avaient longtemps conservé « un monopole de facto » sur les routes d’exportation de la cocaïne à travers l’Équateur, a « laissé un vide » périlleux.

Des groupes criminels équatoriens ont commencé à se livrer bataille pour le combler. Des organisations étrangères, incluant de puissants cartels mexicains ainsi que la mafia albanaise, se sont ajoutées à la mêlée, contribuant à l’explosion de violence, note M. Freeman.

PHOTO AGENCE FRANCE-PRESSE

Membres des forces armées patrouillant mercredi dans les rues de Quito, capitale de l’Équateur

L’instabilité politique qui mine depuis des années l’Équateur a aussi contribué à la dégradation de la situation sécuritaire en détournant l’attention des actions des groupes criminels, qui ont progressivement étendu leur influence, incluant au sein de l’État.

Des médias équatoriens ont affirmé notamment que le crime organisé avait réussi à coopter certains membres de l’entourage du précédent président, Guillermo Lasso, qui a dissous l’Assemblée nationale en février 2023 alors qu’il était menacé par une procédure de destitution.

Risques de dérapages

Daniel Noboa, qui est entré en fonction en novembre, a hérité d’un mandat écourté se terminant en 2025 qui lui laisse peu de temps pour faire sa marque.

Il a multiplié les annonces liées à la sécurité durant la campagne en faisant écho à l’approche controversée adoptée au Salvador par le président Nayib Bukele, qui a fait arrêter des dizaines de milliers de membres présumés de gangs criminels après avoir déclaré l’état d’urgence et fait construire une mégaprison pour les regrouper.

PHOTO PRÉSIDENCE ÉQUATORIENNE, FOURNIE PAR L’AGENCE FRANCE-PRESSE

Le président de l’Équateur, Daniel Noboa, en entrevue mercredi dans une radio de Quito

M. Noboa a notamment indiqué que deux centres de détention à sécurité maximale seraient construits dans l’année avec le soutien des firmes ayant construit la prison salvadorienne. Il a aussi évoqué la possibilité de détenir plusieurs criminels particulièrement dangereux dans des barges spécialement aménagées.

L’analyste Luis Carlos Cordova indiquait il y a quelques jours au quotidien espagnol El País que l’annonce de la construction de nouveaux établissements de détention était « un autre pansement » peu susceptible de changer la donne sécuritaire dans le pays.

L’imitation des méthodes de son homologue salvadorien, qui est accusé par ses détracteurs d’encourager les abus des droits de la personne, risque de se traduire aussi par des dérapages en Équateur, juge M. Hurtado.

« Le risque existe évidemment qu’un membre des forces de l’ordre se sente autorisé à aller trop loin. Je pense, cela dit, qu’il y a beaucoup d’appui actuellement au sein de la population pour une approche musclée », conclut-il.