Claudia Sheinbaum sera candidate de la gauche aux prochaines élections mexicaines. Elle affrontera l’inclassable Xóchitl Gálvez et ses « ovaires » contre le crime…

Nom : Claudia Sheinbaum

Âge : 61 ans

Fonction : Ex-mairesse de Mexico (2018-2023). Candidate à la prochaine élection présidentielle pour le parti MORENA (Mouvement pour la régénération nationale, gauche), actuellement au pouvoir.

Signes distinctifs : Socialiste. Scientifique. Féministe ? Cela reste à voir.

Pourquoi on en parle 

Claudia Sheinbaum a été choisie la semaine dernière pour défendre les couleurs de MORENA à la prochaine présidentielle mexicaine (juin 2024), le leader du parti et actuel chef de l’État, Andrés Manuel López Obrador, n’étant pas autorisé à briguer de second mandat en vertu de la Constitution.

Une élection historique

Au vu de cette candidature, on peut présumer que le prochain président du Mexique sera une femme, une première depuis l’indépendance du pays en 1821. La principale adversaire de Mme Sheinbaum sera en effet une femme, soit Xóchitl Gálvez, investie par l’opposition. « On est dans un panorama où c’est à peu près impossible que ce ne soit pas une femme qui gouverne le Mexique l’an prochain », résume Marie-Christine Doran, professeure titulaire de l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa et directrice de l’Observatoire violence, criminalisation et démocratie. « C’est un tournant parce que dans l’histoire du Mexique, les femmes candidates à la présidence sont extrêmement rares : une dizaine seulement depuis 1910. »

Des profils opposés

Scientifique issue de la bourgeoisie intellectuelle, Mme Sheinbaum se décrit comme une « fille de 1968 » (année des soulèvements étudiants) et revendique l’héritage des luttes sociales des années 1970. Elle s’est engagée à poursuivre la politique de López Obrador, soit continuer à défendre les plus pauvres, notamment les communautés indigènes, tout en mettant en avant les bons résultats macroéconomiques de son mentor (monnaie forte, finances saines). Bref, la gauche caviar.

PHOTO CLAUDIO CRUZ, AGENCE FRANCE-PRESSE

La candidate à la présidentielle mexicaine Xóchitl Gálvez lors d’un rassemblement à Mexico, vendredi

Mme Gálvez est au contraire issue d’un milieu modeste, née d’un père indigène otomi et d’une mère métisse, d’où son nom (« Xóchitl » signifie fleur, en nahuatl) et son huipil (blouse traditionnelle). D’un naturel spontané, cette ingénieure et cheffe d’entreprise truffe ses discours d’expressions familières qui parlent aux classes populaires. « Ma règle d’or : pas de feignasses, pas d’escrocs, pas d’enfoirés », a-t-elle notamment martelé dans les médias. Elle est soutenue par le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI, historique) et le Parti d’action nationale (PAN, conservateur).

Pour le moment, tous les sondages donnent Mme Sheinbaum gagnante, mais sa rivale semble gagner des points en raison de sa personnalité.

Pas une coïncidence

Cette affiche toute féminine n’arrive pas par hasard. Si la parité est encore loin d’être acquise dans la classe politique mexicaine, le nombre de femmes occupant des postes clés est en augmentation constante. Ce changement progressif est à l’image d’un désir de l’électorat et le reflet d’un enjeu de société réel. Depuis 10 ans, des organisations féministes luttent sans relâche pour les droits des femmes, dans ce pays de culture plutôt patriarcale. La Cour suprême mexicaine a dépénalisé le droit à l’avortement la semaine dernière, mais le pays reste aux prises avec un problème majeur de féminicides et de violences faites aux femmes. Selon le Guardian, près de 3760 auraient été tuées en 2022, soit environ 10 par jour. Un fléau que le président López Obrador n’a pas réussi à endiguer, accentuant la colère et l’impatience des groupes féministes. Ce contexte peut expliquer ces candidatures, suggère Mme Doran : « La population est conscientisée par les organisations de défense des droits de la personne. Ces gens ont réussi à faire en sorte qu’à un moment donné, on dise : “C’est assez, peut-être que ça nous prendrait autre chose.” »

Oui, mais…

Si elles sont un produit de leur époque, rien ne garantit que Mmes Sheinbaum et Gálvez feront la promotion d’un programme féministe. « Elles ne sont pas nécessairement proches des luttes qui, en un sens, ont mené à leur désignation. En fait, aucune d’entre elles n’a de programme féministe très fort », souligne Tania Islas Weinstein, professeure de science politique et spécialiste de l’Amérique latine à l’Université McGill. Ce serait même le contraire dans le cas de Claudia Sheinbaum, qui s’est opposée aux manifestations féministes quand elle était mairesse de Mexico. « Le clash entre elle et le mouvement a été très clair, insiste Mme Islas Weinstein. Elle n’est pas particulièrement appréciée dans ces milieux. »

Les deux candidates, du reste, ne se gêneront sans doute pas pour jouer cette carte pendant la campagne électorale. Xóchitl Gálvez affirme ainsi qu’« il faut des ovaires » pour lutter contre le problème de la criminalité (plus de 111 000 disparitions liées au narcotrafic) puisque les hommes ne sont pas en mesure de le faire. « Ultimement, ce sont des politiciennes, conclut Mme Islas Weinstein. Elles utilisent cette cause pour avancer, mais ce n’est pas clair que cela aura plus de répercussions… »