La décision du Nicaragua de libérer jeudi plus de 200 prisonniers politiques et de les exiler aux États-Unis est saluée comme un développement positif par Washington, mais ne signifie pas que le président Daniel Ortega et sa conjointe, Rosario Murillo, qui dirigent en tandem, entendent relâcher leur emprise sur le petit pays d’Amérique centrale.

« On n’a manifestement pas avancé d’un pas vers la tenue d’élections démocratiques. Et rien n’indique que le couple Ortega-Murillo est prêt à céder quoi que ce soit en matière de pouvoir », commente Kai Thaler, un spécialiste de la région rattaché à l’Université de Californie à Santa Barbara.

Les membres les plus influents de l’opposition, souligne-t-il, vont désormais être contraints d’opérer de l’étranger face à l’ex-guérillero sandiniste, qui s’efforce depuis des années de les assimiler à des « mercenaires » à la solde de Washington.

« Dans le discours qu’il a prononcé jeudi soir en réaction à l’annonce, Ortega n’a montré aucun signe d’assouplissement. Il a expliqué, conformément à sa rhétorique habituelle, qu’il avait décidé de renvoyer aux États-Unis des agents américains », souligne M. Thaler.

Plusieurs des personnes libérées sont des figures de l’opposition qui avaient été arrêtées dans les mois précédant l’élection présidentielle de 2021 avant de pouvoir soumettre leur candidature.

L’une des plus connues, Cristiana Chamorro, avait été assignée à résidence après avoir été accusée de malversations financières en lien avec les activités d’une fondation nommée en l’honneur de sa mère, une ex-présidente du pays.

Daniel Ortega a finalement remporté un quatrième mandat lors du scrutin, décrié comme une imposture par les organisations de défense des droits de la personne. Sa femme occupe depuis 2017 le poste de vice-présidente.

Loin des yeux…

Un universitaire nicaraguayen ayant demandé de ne pas être identifié pour des raisons de sécurité a indiqué vendredi que le régime cherchait possiblement à mettre un terme aux critiques liées à la présence de prisonniers politiques dans le pays tout en s’assurant que ses principaux détracteurs se retrouveraient hors d’état de nuire.

Le Parlement, sous contrôle du président, a approuvé jeudi en première lecture le retrait de leur citoyenneté, compliquant toute tentative de retour au pays.

« C’est une violation des droits de la personne qui s’ajoute à la violation des droits de la personne que représentait leur détention. On leur dit qu’on les libère, mais on les prive arbitrairement de leur citoyenneté », a dénoncé l’universitaire, qui s’alarme du fait que beaucoup des exilés n’ont aucun réseau de soutien aux États-Unis.

Washington a annoncé que les prisonniers relâchés se verraient remettre des permis de séjour d’une durée de deux ans et recevraient un soutien matériel et juridique.

PHOTO AGENCE FRANCE-PRESSE

L’opposante Cristiana Chamorro (à gauche), le journaliste Carlos Fernando Chamorro Barrios (au centre) et Juan Lorenzo Holmann (à droite), gérant du journal La Prensa, photographiés à l’atterrissage de leur avion à l’aéroport international Washington-Dulles, jeudi.

Madrid a parallèlement fait savoir vendredi qu’il offrirait la nationalité espagnole à toutes les personnes libérées qui désirent l’obtenir. Des dissidents de plusieurs pays d’Amérique latine, dont Cuba et le Venezuela, ont trouvé refuge outre-Atlantique au cours des dernières années.

Le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, a déclaré que la décision du Nicaragua de relâcher les prisonniers politiques pourrait « ouvrir la porte à un dialogue » entre les deux pays, tout en insistant sur le fait qu’aucune concession n’avait été accordée à Managua.

Précarité économique

M. Thaler n’exclut pas que Daniel Ortega espère obtenir la levée partielle de sanctions imposées par les États-Unis et d’autres pays occidentaux en réaction au virage autoritaire de son régime, qui avait réprimé dans le sang une vague de manifestations ayant secoué le pays en 2018.

Les sanctions en question, dit-il, ciblent plusieurs membres de la famille présidentielle et limitent notamment les exportations d’or et de sucre vers le marché américain.

L’universitaire interrogé vendredi sous le couvert de l’anonymat a indiqué qu’il serait surprenant que ces sanctions aient réellement un effet déterminant sur Daniel Ortega et ses proches.

La population, elle, surnage dans une économie qui tourne au ralenti. Selon une estimation du Fonds monétaire international, près du quart des Nicaraguayens vivent dans la pauvreté.

Un nombre croissant d’entre eux tentent depuis quelques années de migrer aux États-Unis en franchissant à pied la frontière du pays avec le Mexique.

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Des migrants du Nicaragua, de l’Équateur et d’autres pays d’Amérique du Sud attendent d’être pris en charge par les gardes-frontières américains près d’El Paso, au Texas, en janvier dernier.

Dans l’espoir d’endiguer le phénomène, Washington a annoncé début janvier un programme permettant formellement l’entrée au pays de 30 000 migrants par mois en provenance de quatre pays d’Amérique centrale, dont le Nicaragua.

Le pays de destination traditionnel des migrants nicaraguayens est plutôt le Costa Rica, qui a aussi mis en place des mesures restrictives récemment pour compliquer les demandes d’asile.

« Beaucoup de gens au Nicaragua ont du mal à s’en sortir économiquement. Les prix des denrées essentielles ont beaucoup augmenté, les services se sont détériorés et il est difficile d’envisager que les choses vont s’améliorer quand il n’y a pas de possibilité de déblocage politique et que le gouvernement est traité comme un paria par la communauté internationale », résume M. Thaler.