(Lima) Le Parlement péruvien, largement discrédité dans l’opinion publique, a refusé vendredi d’avancer les élections générales, alors que le pays est secoué par une grave crise politique, avec des manifestations sévèrement réprimées qui ont fait 18 morts, et que 5000 touristes sont bloqués dans la célèbre région du Machu Picchu.

L’échec du projet de loi, déposé par un parti qui était jadis dans l’opposition au président destitué le 7 décembre, Pedro Castillo, place la nouvelle présidente Dina Boluarte dans une situation difficile, et risque d’exacerber les manifestants dont deux des principales revendications étaient des élections générales immédiates et la dissolution du Parlement.

La proposition visant à avancer le scrutin d’avril 2026 à décembre 2023, n’a recueilli que 49 voix (il en fallait 87 pour une majorité au 2/3 des 130 députés). Son approbation aurait raccourci le mandat des députés.  

Mme Dina Boluarte – ancienne vice-présidente qui a succédé à M. Castillo – s’était engagée à avancer les élections pour tenter d’enrayer la contestation.  

« L’étape suivante c’est la démission de Dina Boluarte, et une transition démocratique », estime la députée de gauche Ruth Luque qui s’est abstenue, précisant qu’elle préférait un référendum sur une « Assemblée constituante ».  

« Mme Boluarte doit démissionner en raison du nombre de morts », a quant à elle estimé la députée centriste Susel Paredes, qui a voté pour.  

En cas de démission de la présidente, son successeur constitutionnel est le président du Parlement, José Williams. Si lui renonçait, la présidence échouerait au président de la Cour suprême qui en revanche devrait alors organiser de nouvelles élections.  

La présidente a réuni vendredi pour la deuxième fois en moins de trois jours le Conseil de l’État, qui comprend les chefs des trois pouvoirs : exécutif, législatif et judiciaire.

Selon un tweet du compte du ministère des Affaires étrangères, la présidente s’est entretenue par téléphone avec le secrétaire d’État américain Antony Blinken, qui « a réitéré le soutien des États-Unis au Pérou » et a « proposé de continuer à soutenir le processus institutionnel démocratique » au Pérou.

Depuis la Colombie voisine, le président de gauche Gustavo Petro a estimé que c’était un « scandale » de voir « un président désigné par le peuple en détention préventive ».

Les manifestations, qui demandent aussi la libération de M. Castillo et la démission de Mme Boluarte, se poursuivaient vendredi notamment à Arequipa (Sud), Huancayo (Centre), Cuzco (Sud-Est), Ayacucho (Sud) ou Puno (frontière bolivienne).

PHOTO SEBASTIAN CASTANEDA, ARCHIVES REUTERS

Le président péruvien déchu, Pedro Castillo

Le bilan est désormais de 18 morts, selon le ministère de la Santé. Plusieurs victimes ont été tuées par balle tirées par la police et l’armée. Selon une ONG de défense des droits de l’homme, 147 personnes ont été arrêtées.

« Tirs tendus »

Le 7 décembre, le président déchu de gauche radicale Pedro Castillo, 53 ans, avait ordonné la dissolution du Parlement, qui avait peu après voté, à une large majorité, sa destitution pour « incapacité morale ».  

Il avait été arrêté alors qu’il tentait de trouver refuge dans l’ambassade du Mexique.

Débordé, le gouvernement a décrété mercredi l’état d’urgence sur tout le territoire qui autorise l’intervention de l’armée.

« L’état d’urgence ne permet pas de protéger le droit à la vie », s’est inquiétée auprès de l’AFP la Défenseure du Peuple [médiatrice] Eliana Revollar, qui a déploré « huit morts en une journée [jeudi] », à Ayacucho.

Jeudi, les manifestants avaient tenté d’investir l’aéroport mais avaient été repoussés par l’armée.  

Les soldats « ont été encerclés par la foule. Ils ont reçu l’ordre de menacer de tirer, puis de tirer en l’air mais plus tard il y a eu des tirs tendus », a-t-elle dit.

En outre, six morts ont été recensés à la suite d’évènements liés aux blocages routiers, notamment l’impossibilité de rejoindre un hôpital.  

Quelque 500 personnes ont été blessées. Selon le ministère de la Défense, plus de 300 d’entre eux sont des membres des forces de l’ordre.  

Hélicoptères au Machu Picchu

Cinq aéroports étaient fermés vendredi matin dans le sud du pays, Andahuaylas, Arequipa, Puno, Ayacucho et Cuzco, capitale touristique du pays.

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L’aéroport international Alejandro Velasco Astete de Cuzco, le troisième plus important du pays, était fermé depuis lundi, les manifestants ayant tenté de s’y introduire alors que des manifestations dans la ville de Cuzco se poursuivent, selon le maire.

L’aéroport de Cuzco, capitale touristique du pays, a rouvert dans l’après-midi, permettant le début de l’évacuation des touristes, selon des images diffusées par le ministère de la Défense.

Dans la matinée, Darwin Baca, maire de Machu Picchu, avait déclaré à l’AFP que « 5000 touristes » étaient bloqués à Cuzco.  

Au moins 622 touristes, dont 525 étrangers, sont bloqués sur le site même, selon un recensement de la municipalité. Le train, arrêté depuis mardi, est l’unique moyen moderne de se rendre à la citadelle depuis Cuzco, l’ancienne capitale de l’empire inca, à 110 km.

L’armée va envoyer samedi un hélicoptère qui assurera « quatre vols humanitaires pour le transfert des touristes » du Machu Picchu à Cuzco, selon la municipalité qui précise que priorité sera donnée aux familles avec « enfants et personnes vulnérables ».

Quelque 200 touristes, principalement des Nord-Américains et Européens, ont quitté la zone à pied, longeant la voie de chemin de fer pour rejoindre Ollantaytambo, à 30 km, où des bus les attendaient.