Le Pérou, qui avait vu trois présidents se succéder à la tête du pays en une semaine en 2020, est de nouveau dans la tourmente.

Des partisans de l’ex-président Pedro Castillo, qui a été chassé à son tour du pouvoir la semaine dernière et incarcéré pour « rébellion » après avoir tenté de dissoudre le Congrès, ne décolèrent pas et multiplient les manifestations.

La médiatrice de la République, Eliana Revollar, s’est alarmée mardi des suites potentielles de cette « convulsion sociale très sérieuse » qui a fait au moins sept morts et plus de 200 blessés.

Nous craignons que cela ne débouche sur un soulèvement parce qu’il y a des gens qui appellent à l’insurrection, qui appellent à prendre les armes.

Eliana Revollar, médiatrice de la République

L’ancienne vice-présidente Dina Boluarte, propulsée à la tête du pays par le Congrès dans la foulée de l’arrestation de M. Castillo, a promis d’avancer la tenue des prochaines élections générales à décembre 2023 sans réussir à ramener le calme.

Lors d’une audience en justice mardi, le président déchu a déclaré qu’il était détenu « de manière injuste et arbitraire » en se posant en victime des manœuvres de députés peu soucieux de la volonté populaire.

Un ancien président contesté

Ken Frankel, qui préside le Conseil canadien pour les Amériques, note que Pedro Castillo a dû faire face à une opposition frontale du Congrès dès son arrivée en poste en 2021 à l’issue d’une élection très serrée.

Keiko Fujimori, fille de l’ex-dictateur Alberto Fujimori, avait reconnu sa défaite après moult protestations. Son parti, Force populaire, a multiplié par la suite les initiatives contre M. Castillo au Congrès, éclaté entre une dizaine de formations.

Nora Nagels, spécialiste de l’Amérique latine rattachée à l’Université du Québec à Montréal, note qu’un nombre important d’élus au sein de l’institution œuvrent pour des intérêts privés plutôt que pour le bien public.

M. Castillo lui-même « n’a guère fait mieux en cherchant à nourrir ses propres réseaux clientélistes » une fois au pouvoir, dit-elle.

Le dirigeant péruvien a échappé à deux votes de destitution et était sur le point d’être soumis à un troisième lorsqu’il a annoncé son intention de dissoudre le Congrès, dominé par la droite.

Plusieurs ministres ont aussitôt démissionné, soulignant le caractère antidémocratique de la manœuvre, tandis que la police et l’armée mettaient en garde le politicien contre toute tentative de bafouer la Constitution.

« Il a fait le saut sans avoir aucun allié, comme s’il se lançait dans le vide sans parachute », relève Mme Nagels.

Les députés ont rapidement formalisé sa destitution tandis que M. Castillo tentait, en vain, de se réfugier à l’ambassade du Mexique.

M. Frankel note que la tentative d’« auto-coup d’État » a pris tout le monde par surprise, y compris de proches collaborateurs de l’ex-président.

Allégations de malversation

M. Castillo, ancien enseignant et syndicaliste issu d’une région défavorisée, avait promis en campagne de s’attaquer aux inégalités minant le pays, mais a multiplié les erreurs dans ses nouvelles fonctions, nommant notamment plusieurs ministres peu qualifiés.

Il a aussi été la cible de graves allégations de malversation, souligne en entrevue Samuel Rotta, qui dirige une organisation locale de lutte contre la corruption rattachée à Transparency International.

Des preuves « multiples » indiquent que des proches du président ont comploté, avant même son arrivée en poste, pour tirer profit de l’attribution d’importants contrats publics, indique le militant. M. Castillo s’est lui-même retrouvé rapidement dans le collimateur de la justice, qui menait de front plusieurs enquêtes à son sujet.

M. Rotta note qu’il est important que le président sortant soit appelé à rendre des comptes devant les tribunaux pour éviter de miner la confiance déjà limitée de la population envers les institutions du pays.

Malgré ses travers, nombre de Péruviens issus des milieux ruraux s’identifient, dit-il, aux origines modestes du politicien et reprochent au Congrès d’avoir adopté une stratégie de blocage agressive contre lui à des fins partisanes.

C’est cette colère qui se manifeste actuellement dans les rues du pays, souligne M. Rotta, qui insiste sur la nécessité de tenir rapidement de nouvelles élections.

« Problèmes structurels graves »

Ken Frankel note qu’il est loin d’être clair que la nomination d’un nouveau président permettra de débloquer la situation puisque le système politique souffre de « problèmes structurels graves » qui nécessitent une profonde refonte.

Ces problèmes avaient notamment contribué en 2020 à la désignation rapide de trois présidents, le dernier étant un intellectuel respecté, Francisco Sagasti, qui a dirigé le pays jusqu’au scrutin de 2021.

L’incapacité de l’État à fonctionner convenablement est périlleuse et pourrait favoriser le retour d’un dirigeant autoritaire à la tête du Pérou, prévient M. Rotta.

À plus court terme, il est crucial, dit-il, que la nouvelle présidente et le gouvernement adoptent une approche moins répressive et cherchent à ouvrir le dialogue avec les manifestants.

Le gouvernement a plutôt opté pour un nouveau tour de vis mercredi en décrétant l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire pour une période de 30 jours.

Des centaines de touristes bloqués au Machu Picchu

Des centaines de touristes étrangers sont bloqués depuis mercredi dans la zone de la célèbre citadelle inca Machu Picchu, les trains étant à l’arrêt en raison des manifestations contre la nouvelle présidente péruvienne Dina Boluarte. Les manifestants ont notamment tenté de prendre l’aéroport qui est désormais fermé. Selon la municipalité de Machu Picchu, quelque 779 touristes de différentes nationalités ne peuvent quitter la zone de la citadelle. Le maire, Darwin Baca, a demandé au gouvernement de l’aide humanitaire et demande l’envoi d’hélicoptères pour évacuer les touristes. Des syndicats agraires ainsi que des organisations paysannes et indigènes, très présentes dans la région de Cuzco, ont annoncé une « grève indéfinie » dans plusieurs régions du Pérou à partir de mardi, exigeant la fermeture du Congrès, des élections anticipées et une nouvelle constitution, selon un communiqué du Front agraire et rural du Pérou.

Agence France-Presse