(Johannesburg) Le vote anticipé a commencé lundi en Afrique du Sud, avec les électeurs empêchés de se rendre aux urnes mercredi, lançant le scrutin législatif le plus disputé depuis 30 ans, qui pourrait se solder par un recul historique de l’ANC au pouvoir.  

Quelque 27,6 millions d’électeurs sont inscrits. Plus de 1,6 million s’étaient enregistrés pour voter par anticipation. Les bureaux sont ouverts pour eux lundi et mardi.  

Des agents de la Commission électorale (IEC) se rendent aussi auprès de plus de 600 000 électeurs dans les maisons de retraite, les hôpitaux ou à domicile.

Dans un immeuble de Yeoville, quartier mal famé du centre de Johannesburg, les agents ont grimpé au 3e étage accompagnés de policiers armés.

« Je vieillis et je suis handicapée », dit Thelma Dingaan, une retraitée de 65 ans qui montre ses pieds gonflés, avant de glisser son bulletin dans l’urne amenée jusqu’à elle.  

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Une responsable de la Commission électorale indépendante (à gauche) remet les bulletins de vote à Thelma Thembeka Dingaan à son domicile de Johannesburg, le 27 mai.

Plus loin, Philemon Makweng, 62 ans, sort d’un centre de loisirs transformé en bureau de vote, enveloppé dans un gros chandail et un pantalon en velours, en cette journée frisquette de début d’hiver austral.  

Il dit fièrement à l’AFP avoir participé à chaque scrutin depuis l’avènement de la démocratie en 1994. Comme beaucoup de ses concitoyens, il critique copieusement les 30 ans de règne du Congrès national africain (ANC). Mais il ne fait pas non plus confiance à l’opposition.  

« J’ai voté pour le diable que je connais, plutôt que pour les nouveaux diables dont on ne sait pas ce qu’ils pourraient apporter », confie-t-il.  

À quelques mètres, des membres de l’ANC et de partis d’opposition brandissent t-shirts, casquettes et drapeaux à leurs couleurs lors d’ultimes opérations séduction.  

« L’ANC sous pression »

Lulama Mayeki, 59 ans, a voté pour la première fois pour un autre parti car elle espère « un grand changement ». Elle veut croire à un nouveau gouvernement qui luttera « contre la criminalité, la pauvreté ».  

Le week-end dernier, les principaux partis d’opposition ont tenu leurs derniers rassemblements, promettant à leurs sympathisants de détrôner l’ANC.  

Depuis l’élection de Nelson Mandela, le parti a remporté tous les scrutins nationaux à une très large majorité, obtenant 57 % des voix en 2019. Mais l’ANC risque cette fois de perdre sa majorité au Parlement, oscillant entre 40 % et 47 % des voix dans les enquêtes d’opinion.  

Les électeurs sont appelés à désigner 400 députés, qui choisiront ensuite le président. Une cinquantaine de partis sont en lice.  

« L’ANC se présente au scrutin sous pression », explique à l’AFP l’analyste politique Steven Gruzd, « il y a beaucoup de mécontentement à l’égard de son gouvernement ».  

Pendant 30 ans, les électeurs ont été loyaux au parti qui a libéré le pays du régime de ségrégation raciale. Mais pour beaucoup, l’ANC qui avait promis l’éducation, l’eau, un toit et un vote à tous les Sud-Africains, n’a pas tenu ses engagements.

Le président Cyril Ramaphosa, 71 ans, qui compte sur un second mandat, a été critiqué pour son discours à la nation de dernière minute teinté de campagne électorale dimanche soir. Il a inlassablement mis en avant les progrès apportés depuis la fin de l’apartheid aux 62 millions de Sud-Africains.

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Le président sortant Cyril Ramaphosa,

Mais un tiers de la population active reste au chômage. Pauvreté et inégalités s’accroissent, comme les pénuries d’eau et d’électricité.  La multiplication des affaires de corruption impliquant des figures de l’ANC a aussi entamé la confiance.  

Selon le chercheur en sciences politiques Ebrahim Fakir, la participation tombée de 89 % en 1999 à un peu plus de 66 % en 2019 sera aussi un facteur clef.

« Cela ne relève pas d’un désintérêt mais est directement lié au mécontentement et une perte de confiance dans les institutions », selon l’expert.

Si l’ANC passait sous la barre des 50 %, le parti serait contraint à nouer des alliances pour se maintenir au pouvoir et conduire des négociations autour de la formation d’un gouvernement de coalition.