Le Congrès national africain (ANC), qui domine la vie politique sud-africaine depuis la fin de l’apartheid il y a 30 ans, est en perte de vitesse à l’approche des élections législatives prévues mercredi. La formation pourrait voir ses appuis chuter sous la barre de 50 %, un précédent témoignant de l’exaspération d’une partie croissante de la population face aux problèmes du pays.

Que disent les sondages sur l’ANC ?

Bien que les chiffres varient considérablement d’une firme à l’autre, la plupart des instituts spécialisés s’entendent pour dire que l’ANC aura beaucoup de mal à atteindre le seuil de 50 % nécessaire pour lui permettre de former le prochain gouvernement sans avoir à solliciter l’appui d’un ou plusieurs partis d’opposition. Certains sondages le placent même près de 40 %. Lors des élections historiques de 1994 qui avaient porté Nelson Mandela à la présidence, la formation avait remporté 62,7 % des voix et elle a toujours obtenu plus de 60 % des voix par la suite avant de chuter à 57 % lors des dernières élections tenues en 2019.

Quels facteurs expliquent la chute annoncée des appuis à l’ANC ?

Ongama Mtimka, analyste politique établi à Johannesburg, estime que les guerres intestines au sein de l’ANC sont le principal moteur du déclin actuel. À plusieurs reprises, des membres influents sont partis ou ont été forcés de le faire avant de créer leur propre formation, qui vient ensuite gruger une part des appuis de son électoral traditionnel. Julius Malema, tribun populiste connu pour ses sorties hostiles envers la population blanche, a notamment été exclu en 2012 et a créé le Front pour la libération économique, qui récolte aujourd’hui autour de 12 % des voix, selon un sondage IPSOS. L’ancien président Jacob Zuma, qui a été évincé de la présidence en raison d’un vaste scandale de corruption, fait campagne à la tête d’un autre parti, le MK, qui tourne autour de 8 % des voix.

Quels sont les autres facteurs en jeu ?

Les tiraillements internes sont importants, mais ne doivent pas faire oublier la gravité des problèmes économiques qui minent le pays. William Gumede, politologue rattaché à l’Université du Witwatersrand, note que le taux de chômage est de 32 % et dépasse 50 % chez les jeunes, ce qui représente une véritable « bombe à retardement ». Les problèmes d’infrastructures sont une autre source d’irritation majeure. La société publique Eskom a dû imposer un système de coupures d’électricité tournantes faute de pouvoir répondre complètement à la demande. La distribution d’eau est également une source de tension. M. Mtimka note que la population noire, marginalisée durant l’apartheid, a vu son accès à des services de base s’améliorer dans les 15 ans suivant l’arrivée de l’ANC au pouvoir, mais cet élan s’est essoufflé. La corruption, qui a mené à une forme de « capture de l’État » sous l’égide de Jacob Zuma, ajoute aux frustrations. L’ex-président ne peut solliciter un siège à l’Assemblée nationale en raison d’une condamnation pour outrage au tribunal lié à son refus de témoigner devant une commission d’enquête sur le sujet, mais demeure le visage du MK.

Les élections apporteront-elles des solutions à la crise ?

Bien qu’il soit pratiquement acquis que l’ANC sera le parti avec le plus de sièges à l’Assemblée nationale après les élections, les orientations du prochain gouvernement dépendront de la composition de la coalition requise pour atteindre la majorité. Un score de moins de 50 % pour la formation historique serait considéré comme une « humiliation » et forcerait ses dirigeants à prendre acte de la nécessité d’un changement de cap, notamment sur le plan économique, pense M. Gumede. Une coalition avec l’EFF, qui défend une approche économique radicale, dont l’expropriation sans indemnisation de terres appartenant à la communauté blanche, pourrait entraîner un virage marqué à gauche. L’ANC pourrait aussi tenter de s’allier avec le principal parti d’opposition, l’Alliance démocratique, qui défend une approche économique plus libérale pour favoriser la création d’emplois. Elle s’est associée avant la campagne électorale à une dizaine de partis dans l’espoir de devancer l’ANC, mais l’objectif semble hors de portée, selon M. Mtimka. L’analyste note que le scénario privilégié par l’ANC est de former une coalition avec plusieurs petits partis peu susceptibles de peser sur ses choix. « Il va y avoir beaucoup de marchandage la semaine prochaine », dit-il.

Existe-t-il un risque de violence dans le cadre des élections ?

L’annonce en 2021 de la condamnation à 15 mois d’emprisonnement de Jacob Zuma pour outrage au tribunal avait suscité une levée de boucliers parmi ses partisans et alimenté de violentes manifestations touchant particulièrement la province du KwaZulu-Natal, d’où il est originaire. M. Gumede pense qu’il n’est pas impossible que des troubles similaires surviennent si le résultat des élections s’avère trop décevant pour l’ex-président, qui va peut-être proposer, note-t-il, de s’allier à l’ANC après le scrutin en échange d’une promesse d’immunité judiciaire. M. Mtimka pense que le fait que les partisans de M. Zuma ne sont pas descendus dans la rue après que la commission électorale lui a refusé il y a quelques jours le droit de solliciter un poste de député témoigne que la violence n’est pas à l’ordre du jour de leur côté. « Ce qu’on entend de leur part, c’est surtout des complaintes », note l’analyste, qui voit dans la crédibilité de la commission électorale une garantie contre toute accusation de manipulation du vote.