Le conflit au Soudan, qui a entraîné l’une des plus graves crises humanitaires de la planète, risque de mener à de nouvelles exactions de grande envergure si la communauté internationale tarde à agir.

Ce qu’il faut savoir

Le Soudan est secoué depuis avril 2023 par un conflit meurtrier opposant deux chefs militaires qui se disputent le pouvoir.

Human Rights Watch s’alarme de la possibilité que les Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdan Dagalo, dit « Hemedti », attaquent la capitale du Darfour du Nord, El-Fasher, en multipliant les exactions.

Lors d’une offensive similaire l’année dernière à El Geneina, capitale du Darfour occidental, des milliers de civils d’une communauté non arabe ont été tués par les FSR et des milices arabes alliées, ce qui a suscité des accusations de « nettoyage ethnique ».

Dans un nouveau rapport paru cette semaine, Human Rights Watch demande qu’une force d’interposition soit déployée rapidement au Darfour, dans l’ouest du Soudan, pour protéger les civils, mais rien ne laisse entrevoir une telle initiative dans un avenir rapproché.

L’organisation de défense des droits de la personne prévient qu’un « désastre » est imminent à El-Fasher, capitale du Darfour du Nord, qui se retrouve dans le viseur des paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR).

Le général Mohamed Hamdan Dagalo, dit « Hemedti », qui a entrepris à des fins stratégiques de s’assurer le contrôle de l’ensemble du Darfour, menace d’en découdre sur place avec les forces de l’armée régulière commandées par son ennemi, le général Abdel Fattah al-Burhan.

PHOTO MOHAMED ZAKARIA, FOURNIE PAR REUTERS

Une femme et un enfant sont photographiés dans le camp de réfugiés de Zamzam, dans le Darfour du Nord.

Les Nations unies ont prévenu il y a quelques jours que la situation sécuritaire à El-Fasher se détériorait rapidement et que plusieurs villages voisins ont été brûlés alors que les bombardements se multiplient.

« Les tensions sont énormes », confirme Jérôme Tubiana, travailleur humanitaire de Médecins sans frontières ayant récemment séjourné au Darfour qui s’alarme de la détérioration de la situation alimentaire de la population locale.

Human Rights Watch craint une répétition à El-Fasher des « crimes contre l’humanité » survenus l’été dernier à El-Geneina, capitale du Darfour occidental, où des milliers de civils ont été abattus lors d’une opération des FSR et de milices arabes décrite comme une tentative de « nettoyage ethnique ».

De nombreux survivants de la communauté masalit, un groupe ethnique non arabe, ont témoigné qu’ils avaient été abandonnés par les forces gouvernementales et pris pour cible alors qu’ils tentaient de fuir à pied ou en auto au sein d’un imposant cortège regroupant des dizaines de milliers de personnes.

Un adolescent de 17 ans a déclaré notamment qu’il avait vu des combattants des FSR « empiler un groupe d’enfants et tirer sur eux » avant de projeter leurs corps dans une rivière voisine.

Plusieurs personnes ont péri par la suite en tentant de fuir vers le Tchad voisin après avoir été arrêtées à des barricades improvisées par des combattants qui ont tué de nombreux hommes d’une balle à la tête.

Impasse

Depuis l’éclatement du conflit entre les deux généraux en avril 2023, des affrontements sanglants sont survenus dans plusieurs autres régions du pays, et à Khartoum, la capitale.

Les FSR ont pris le contrôle de vastes pans du territoire dans l’ouest et dans le centre du Soudan, réalisant même une percée à la fin de l’année à l’est dans l’État d’Al-Jazira, avant d’être freinés dans leur élan.

Les forces armées ont entrepris depuis janvier une contre-offensive, mais n’ont pas réussi à obtenir de gain majeur, note Ahmed Soliman, analyste de Chatham House.

Pour l’instant, le conflit est dans l’impasse et je ne vois aucune possibilité pour l’un des deux camps de s’imposer face à l’autre.

Ahmed Soliman, analyste de Chatham House

En attendant un hypothétique déblocage, les forces armées et les FSR multiplient les efforts de recrutement, ralliant à leur cause de nombreux groupes armés locaux alors que les risques de fragmentation du pays augmentent, note le chercheur.

Mobiliser l’attention

Le soutien apporté aux deux camps par des acteurs régionaux comme les Émirats arabes unis, l’Égypte et l’Iran ajoute à la complexité de la situation, qui exige une attention accrue des Nations unies et d’acteurs importants comme les États-Unis, note M. Soliman.

« Malheureusement, le Soudan ne figure pas très haut dans la liste de priorités géostratégiques de l’heure », loin derrière la guerre en Ukraine et celle dans la bande de Gaza, relève l’analyste.

François Audet, qui est directeur de l’Observatoire canadien sur les crises et l’action humanitaire, note que la gravité de la situation de la population du pays devrait suffire à mobiliser l’attention de la communauté internationale.

Huit millions de Soudanais ont été forcés de fuir leur domicile par les combats, qui ont fait plus de 14 000 victimes.

Selon l’International Crisis Group, plus de 70 % des établissements de santé sont inopérants, limitant l’accès aux soins alors que 18 millions de personnes sont confrontées à des niveaux extrêmes d’insécurité alimentaire.

Une conférence tenue il y a un mois à Paris a permis de recueillir près de 3 milliards de dollars pour le Soudan, mais l’impact de ces fonds risque d’être limité par l’interférence des belligérants, prévient M. Audet.

Trois milliards, « c’est bien, mais encore faut-il que l’aide puisse se rendre », souligne-t-il en relevant que les civils soudanais doivent tenter tant bien que mal de survivre « au gré des batailles territoriales ».