Un procès historique s’est ouvert cette semaine en Suède contre d’anciens dirigeants d’une société pétrolière qui auraient profité des exactions perpétrées par les forces soudanaises au tournant du millénaire pour faciliter l’exploitation d’une concession située en zone de conflit.

Ce qu’il faut savoir

Deux anciens dirigeants d’une firme suédoise qui a exploité une concession pétrolière au Soudan en pleine guerre civile au tournant du millénaire sont accusés de « complicité de crimes de guerre ».

Les procureurs leur reprochent d’avoir encouragé le gouvernement soudanais à intervenir militairement pour chasser la population vivant sur le territoire de la concession, faisant des milliers de victimes.

Les ONG ayant documenté la situation espèrent que le procès fera y réfléchir à deux fois les entreprises qui songent à être en activité dans des zones de conflit sans égard aux risques de dérapage.

L’ex-PDG de Lundin Oil, Alex Schneiter, et l’ex-président du conseil d’administration de la firme, Ian Lundin, sont accusés de « complicité de crimes de guerre » par la justice suédoise.

Les procureurs responsables du procès-fleuve, d’une durée prévue de trois ans, maintiennent que les deux hommes ont encouragé le gouvernement de l’ex-président soudanais Omar el-Béchir à déployer troupes et milices pour attaquer la population vivant sur le territoire de la concession.

PHOTO ANDERS HUMLEBO, AGENCE FRANCE-PRESSE

Croquis d’audience montrant L’ex-PDG de Lundin Oil, Alex Schneiter, et l’ex-président du conseil d’administration de la firme, Ian Lundin, dans une salle d’audience d’un tribunal de Stockholm, le 5 septembre

Le « bloc 5A » était situé dans le sud du pays, qui a été frappé par une longue guerre civile ayant mené en 2011 à la création du Soudan du Sud.

Khartoum, qui devait recevoir des redevances sur le pétrole tiré de la concession, a multiplié les attaques contre les résidants de la zone de 1999 à 2003, faisant dans le processus des milliers de morts et entraînant le déplacement de centaines de milliers de personnes.

La population locale en proie à la violence

La justice suédoise s’est saisie de l’affaire il y a 10 ans en évoquant le principe de compétence universelle existant pour les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité.

Elle est passée à l’action en réponse à la publication d’un rapport d’un groupe d’organisations non gouvernementales ayant détaillé les exactions subies et la responsabilité de Lundin Oil, aujourd’hui connue sous le nom d’Orron Energy, qui était à la tête d’un consortium d’entreprises au Soudan.

Le rapport en question relevait que les troupes soudanaises, pour sécuriser le contrôle du territoire de la concession, ont tué des civils, violé des femmes et enlevé des enfants tout en pillant et en détruisant les biens nécessaires à la survie de la population locale.

Tant M. Lundin que M. Schneiter ont assuré cette semaine que les accusations formulées contre eux étaient erronées et ne tiendraient pas la route devant le tribunal.

« Nous avons hâte de pouvoir nous défendre », a indiqué l’ancien président du conseil d’administration dans une déclaration relayée par l’agence Reuters.

« Aveuglement volontaire »

Egbert Wesselink, porte-parole de VOX, une ONG néerlandaise ayant joué un rôle central dans la documentation des exactions, note que la zone où se trouve la concession était « tranquille » et « prospère » avant que Lundin Oil et le gouvernement ne concluent un contrat en 1997 pour l’exploitation du bloc 5 A.

« L’entreprise n’a jamais reconnu la moindre responsabilité dans ce qui est arrivé et prétend même avoir été une force pour la paix et la prospérité, une affirmation pour le moins remarquable », ironise M. Wesselink, qui ne croit pas un mot des démentis des deux dirigeants.

Human Rights Watch a déjà indiqué que l’entreprise avait fait preuve d’aveuglement volontaire relativement aux exactions perpétrées pour « sécuriser” le bloc. Ça résume bien ce qui s’est passé.

Egbert Wesselink, porte-parole de VOX

En plus de cibler les deux anciens dirigeants, les procureurs demandent aux tribunaux d’imposer une amende d’une valeur de près de 250 millions de dollars à l’entreprise.

Afin de se prémunir contre d’éventuelles saisies, la firme a transféré une part importante de ses actifs à une firme norvégienne dans le cadre d’une restructuration susceptible de compliquer grandement les demandes de compensation futures de victimes des forces soudanaises.

« Je crains qu’il ne reste pas grand-chose pour elles », souligne M. Wesselink, qui juge « scandaleuse » la manière dont l’entreprise cherche à manœuvrer pour limiter l’impact d’éventuelles poursuites.

Une preuve complexe

Le militant note que la preuve à faire pour incriminer les dirigeants accusés est complexe puisqu’il faut établir un « pattern » montrant que les exactions perpétrées par les forces soudanaises faisaient souvent suite à des demandes de soutien de Lundin Oil.

« On ne peut pas présumer de ce que le procès va donner », prévient M. Wesselink, qui s’attend quoi qu’il en soit à ce que l’initiative fasse y réfléchir à deux fois les firmes pétrolières tentées d’exploiter des concessions dans des zones de conflit.

Les entreprises doivent évaluer les risques. C’est certain que ce qui se passe devant les tribunaux en Suède va changer les discussions dans les conseils d’administration à ce sujet.

Egbert Wesselink, porte-parole de VOX

Une firme de Calgary, Talisman Energy, avait été montrée du doigt au début des années 2000 par les autorités canadiennes, qui lui reprochaient de soutenir la guerre civile en versant des redevances au régime soudanais pour une autre concession située dans le sud du pays.

L’entreprise, acquise en 2014 par une pétrolière espagnole, a été poursuivie aux États-Unis par des victimes l’accusant d’être complice de crimes de guerre perpétrés par les autorités soudanaises.

Le tribunal a rejeté la requête en relevant que les preuves présentées à l’appui étaient « insuffisantes », une conclusion avalisée en 2010 par le refus de la Cour suprême de revenir sur la cause.