(Khartoum) Une centaine de civils ont été tués au Soudan où tirs et explosions ont gagné en intensité lundi à Khartoum au troisième jour de combats entre l’armée et une puissante force paramilitaire, dirigées par deux généraux rivaux qui se disputent le pouvoir.

Au moins deux hôpitaux de la capitale ont été évacués « alors que roquettes et balles criblaient leurs murs », ont annoncé des médecins qui disent n’avoir plus de poches de sang ni d’équipements pour soigner les blessés.

En plus des tirs croisés – qui ont tué trois employés du Programme alimentaire mondial (PAM) au Darfour –, les humanitaires doivent désormais aussi composer avec les pillages, rapporte Save the children. Plusieurs ONG et agences de l’ONU ont déjà annoncé suspendre leurs activités, un coup dur dans un pays où la faim touche plus d’un habitant sur trois.

Depuis samedi, à Khartoum, les Soudanais se barricadent dans leurs maisons. Au-dessus d’eux, des colonnes d’épaisse fumée noire s’élèvent, une odeur de poudre pique les narines et chacun se demande quand l’électricité et l’eau courante reviendront.  

IMAGE SATELLITE DE MAXAR TECHNOLOGIES, FOURNIE PAR L’ASSOCIATED PRESS

Deux avions en feu à l’aéroport international de Khartoum

À chaque nouvelle frappe aérienne ou tir d’artillerie, parents et enfants sursautent, racontent des familles qui n’ont jamais vu une telle violence dans la capitale d’un pays qui se lançait il y a quatre dans une transition qui se voulait démocratique.

Aujourd’hui, tous regardent, depuis leurs fenêtres, passer des blindés ou des miliciens à bord de véhicules civils dont ils ont retiré les plaques minéralogiques. En espérant qu’aucune balle perdue ou éclat d’obus ne viennent frapper leur immeuble.

Les rares épiceries ouvertes, elles, ont prévenu qu’elles ne tiendraient plus qu’un jour ou deux si aucun camion n’entre pour approvisionner la ville.  

Au moins 97 civils ont été tués, pour moitié environ à Khartoum, et « des dizaines » de combattants sont morts, selon le syndicat des médecins compte près d’un millier de blessés. Les belligérants, eux, n’ont jamais communiqué sur leurs pertes.

Alors que l’ONU a demandé aux deux généraux de « cesser immédiatement les hostilités » car elles pourraient être « dévastatrices pour le pays et toute la région », le Haut commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR) a dit se tenir « prêt » à aider le Soudan – l’un des premiers pays d’accueil de réfugiés d’Afrique – et ses voisins en cas de déplacements de population.

Le conflit était latent depuis des semaines entre le chef de l’armée, le général Abdel Fattah al-Burhane, dirigeant de facto du pays, et son numéro deux, le général Mohamed Hamdane Daglo, dit « Hemedti », à la tête des Forces de soutien rapide (FSR), qui avaient évincé ensemble les civils du pouvoir lors du putsch d’octobre 2021.

PHOTOS ASHRAF SHAZLY, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le général et chef de l’armée Abdel Fattah al-Burhane (à gauche) et le général Mohamed Hamdane Daglo, dit « Hemedti », à la tête des Forces de soutien rapide (FSR)

Depuis samedi, les combats à l’arme lourde n’ont pas cessé et l’armée de l’air vise régulièrement, même en plein Khartoum, les QG des FSR, d’ex-miliciens de la guerre dans la région du Darfour devenus les supplétifs officiels de l’armée.

Lundi toutefois les contacts diplomatiques ont semblé s’intensifier.

En fin de journée, l’Égypte, grand voisin influent, a annoncé avoir discuté de la situation avec l’Arabie saoudite, le Soudan du Sud et Djibouti, trois autres acteurs importants au Soudan, ainsi qu’avec Paris. Le Qatar de son côté s’est entretenu avec le président de la Commission de l’Union africaine (UA), Moussa Faki Mahamat, censé se rendre au plus vite au Soudan – au-dessus duquel plus aucun avion ne vole.

En pleine guerre médiatique, les belligérants ont continué de s’invectiver : « Burhane bombarde les civils depuis les airs, nous le poursuivons et l’amènerons en justice », a lancé le général Daglo, en anglais, sur Twitter. En face, l’armée a assuré sur Facebook « se rapprocher tout près de l’heure de la victoire définitive ».

PHOTO AGENCE FRANCE-PRESSE

Une voiture circule dans une rue déserte de Khartoum, dimanche.

Hôpitaux en détresse

Il était toujours impossible lundi de savoir quelle force contrôle quoi. Les FSR ont annoncé avoir pris l’aéroport et être entrés dans le palais présidentiel, ce que l’armée a nié.  

L’armée assure tenir le QG de son état-major, l’un des principaux complexes du pouvoir à Khartoum.  

Quant à la télévision d’État, après deux jours de combats à ses abords, elle diffuse désormais des images et des communiqués de l’armée qui assure avoir regagné du terrain en de nombreux endroits.

« Première fois à Khartoum »

« C’est la première fois de l’histoire du Soudan depuis l’indépendance (en 1956) qu’il y a un tel niveau de violence dans le centre, à Khartoum », assure à l’AFP Kholood Khair, qui a fondé le centre de recherche Confluence Advisory à Khartoum.  

Khartoum « a toujours été l’endroit le plus sûr du Soudan, pendant les guerres meurtrières contre des rebelles » lancées au Darfour et ailleurs dans les années 2000, poursuit-elle.

Mais depuis samedi, des médecins rapportent des coupures d’électricité dans des salles d’opération, racontent que des patients, parfois des enfants, et leurs proches « n’ont plus ni à boire ni à manger ».

Et surtout, explique un réseau de médecins prodémocratie, les praticiens ne peuvent pas laisser partir en sécurité les patients soignés, ce qui crée « un engorgement qui empêche de s’occuper de tous ».  

« Aujourd’hui, les combats se déroulent partout dans la ville, les FSR sont implantées partout et notamment dans des zones densément peuplées car les belligérants ont cru que la possibilité d’un bilan civil élevé allait dissuader l’autre camp : maintenant on sait que leur lutte de pouvoir à tout prix l’a emporté », résume Mme Khair.