Le chef d’une organisation indépendantiste kabyle mis en cause dans un lynchage qui avait choqué l’Algérie en 2021 accuse le gouvernement de s’être livré à une « mascarade juridique » pour intimider la population locale et décourager toute volonté d’autodétermination.

Lors d’une conférence de presse tenue vendredi à Paris, où il vit en exil, le dirigeant du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), Ferhat Mehanni, a dénoncé l’annonce la veille par un tribunal d’Alger de la condamnation à mort d’une cinquantaine de personnes en lien avec le drame.

« C’est de l’abattage judiciaire qui ne garantit aucun droit à la défense », a fustigé le leader indépendantiste, qui a été condamné, dans le même jugement, à la prison à vie par contumace avec d’autres dirigeants du MAK pour leur rôle allégué dans l’attaque meurtrière.

Les dossiers de nombreux accusés étaient « vides » mis à part leurs liens avec le mouvement indépendantiste, a indiqué M. Mehanni, qui accuse les services de renseignements et la police algériens d’être les « véritables » responsables du lynchage.

« On voit bien que c’est la Kabylie qui est visée », a relevé le dirigeant du MAK, qui est officiellement considéré comme une « organisation terroriste » par le gouvernement algérien.

Un lynchage au cœur des accusations

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Le lynchage au cœur de la polémique est survenu en août 2021 alors que la Kabylie, située dans le nord-est du pays, était aux prises avec des incendies de forêt de grande envergure qui ont détruit plusieurs villages et fait des dizaines de victimes, dont des secouristes.

Djamel Benismail, un artiste de 38 ans, est arrivé dans la région, à plusieurs centaines de kilomètres de son lieu de résidence, après avoir souligné en ligne qu’il souhaitait venir prêter main-forte aux résidants éprouvés.

Selon un compte rendu de l’Associated Press, il aurait suscité la méfiance de villageois qui le soupçonnaient d’être responsable des incendies.

Après s’être présenté à la police, il a été assailli par une foule en colère et battu avant d’être poignardé à plusieurs reprises et brûlé.

Indignation généralisée

Des vidéos du drame et des photos d’individus ayant pris des égoportraits devant la scène macabre ont été mises en ligne, alimentant l’indignation de la population.

La Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH) a dénoncé « avec la plus grande force » la mort « tragique et horrible » du jeune homme et réclamé une enquête indépendante permettant de faire toute la lumière sur ce qui s’était passé.

L’organisation avait exhorté du même coup les Algériens à éviter les « amalgames et les simplifications » afin de décourager les commentaires racistes.

Le père de la victime avait pour sa part lancé un appel au « calme » et à la « fraternité » malgré la gravité du crime, qui a suscité de nombreux élans de solidarité sur les réseaux sociaux.

Dans Le Matin d’Algérie, une docteure en psychologie a relevé l’année dernière que le lynchage était survenu à un moment de tension extrême alors que la population était fortement éprouvée par l’impact des incendies de forêt.

Devant un tel enchaînement de catastrophes, il est difficile, non seulement de raisonner, mais de maîtriser ses émotions. La moindre chose, si bénigne soit-elle, prend des proportions excessives.

Chérifa Sider, docteure en psychologie

Un média algérien en ligne a indiqué vendredi que l’avocate de la famille de Djamel Benismail, Ahmen Bendaouda, s’était montrée insatisfaite du jugement.

Elle a expliqué que certains des accusés avaient écopé de peines réduites et avaient « échappé à la sanction qu’ils méritent » même s’il existe des images montrant leur rôle direct dans les violences commises.

Une quarantaine de personnes ont reçu des peines variant de 2 à 12 ans d’emprisonnement, portant à près de 100 le nombre total de condamnés.

Ceux qui ont écopé de la peine capitale risquent plutôt de purger une peine d’emprisonnement à vie puisqu’un moratoire empêchant de telles exécutions est en place depuis des décennies en Algérie.