Les espoirs de transition démocratique s’estompent au Tchad à la suite de la répression sanglante de manifestations qui visaient à dénoncer les tergiversations de la junte militaire au pouvoir.

Plus de 50 personnes ont été tuées et 300 autres blessées, jeudi dernier, lors d’affrontements avec les forces de l’ordre, qui ont tiré à balles réelles sur les protestataires dans plusieurs villes, dont la capitale, N’Djaména.

« Nous demandons qu’une enquête indépendante soit ouverte dans les plus brefs délais relativement à l’utilisation d’une force létale par les services de sécurité. Elle ne semble pas être justifiée », relève en entrevue Lewis Mudge, qui est responsable de l’Afrique centrale chez Human Rights Watch.

M. Mudge a souligné mercredi que des entrevues menées auprès de dizaines de témoins avaient permis de déterminer que des manifestants avaient lancé des pierres ou des briques et que quelques autres portaient des couteaux, mais n'avaient pas mis en lumière la présence d’armes à feu. Des actes de vandalisme ont aussi été recensés.

Un « climat de terreur »

« Le gouvernement semble vouloir utiliser ces cas pour tenter de dénigrer l’ensemble des manifestants », relève le militant.

Un membre des Transformateurs, l’un des principaux partis de l’opposition, a indiqué à M. Mudge que les forces de sécurité avaient ouvert le feu avant même que des roches ne soient lancées.

Emma Cailleau, une porte-parole du collectif français Survie, qui suit de près la situation au Tchad, relève que le gouvernement transitoire cherche à « renverser le discours » en prétendant que les manifestants tentaient d’orchestrer un coup d’État.

La répression contre les Transformateurs et les acteurs de la société civile qui ont organisé les manifestations s'est poursuivie dans les jours ayant suivi les affrontements, témoignant, selon l’organisation, de la volonté des autorités d’établir « un climat de terreur » dans le pays.

Mahamat Déby s'accroche au pouvoir

Mme Cailleau note que ce n’était pas la première fois, jeudi, que les forces de sécurité ouvraient le feu sur des manifestants depuis l’arrivée au pouvoir des militaires en avril 2021, quelques jours après la mort du président Idriss Déby.

Le fils de l’homme fort tchadien, Mahamat Déby, a alors pris la tête d’un gouvernement de transition qui devait a priori quitter le pouvoir au bout de 18 mois tout en s’abstenant de présenter des candidats aux élections.

PHOTO MICHEL EULER, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Mahamat Deby

La période de transition a été prolongée de 24 mois, et la contrainte d’éligibilité a été levée début octobre à la suite de pourparlers nationaux boycottés par plusieurs partis de l’opposition, faisant craindre le maintien au pouvoir à long terme du fils de l’ex-dirigeant.

La date du 20 octobre avait été choisie par les manifestants pour souligner l’arrivée à terme de la période de transition de 18 mois initialement définie.

Dans une tribune parue mardi dans Le Monde, Enrica Picco, de l’International Crisis Group, relève que la corruption de l’élite au pouvoir et les inégalités sociales héritées du règne d’Idriss Déby alimentent aussi la colère de la population.

« Mahamat Déby doit faire un choix. Il peut adopter le même régime brutal que celui de son père. Mais il est aussi encore temps pour lui de corriger cette inquiétante dérive autoritaire et de ramener le Tchad sur la voie d’une réelle transition vers un régime démocratique », souligne-t-elle.

Le soutien de la France critiqué

Lewis Mudge note que la répression sanglante des manifestations de la semaine dernière est un « signe inquiétant » sur ce plan.

Le fait que les militaires semblent « très confortables » de bénéficier d’une forme d’impunité et d’avancer avec un calendrier électoral mal défini est aussi alarmant, dit-il.

Les dérives antidémocratiques survenues au cours des dernières semaines constituent par ailleurs une source d’embarras pour le gouvernement français, qui fait preuve « d’hypocrisie », note Mme Cailleau, en offrant un soutien durable aux militaires tout en condamnant les violences frappant le pays.

Le Tchad, souligne-t-elle, a une grande importance géopolitique et militaire pour Paris, qui l’utilise notamment comme base pour asseoir son influence régionale et contrer l’action de groupes islamistes.

M. Mudge note que la France a souvent agi par le passé dans ses anciennes colonies africaines d’une manière qui semble contredire ses principes démocratiques.

« Ce n’est pas la première fois que la France cherche à trouver un équilibre entre ces principes et d’autres intérêts », note le représentant de Human Rights Watch, qui s’attend à ce que la répression des derniers jours force le pays à durcir le ton envers les militaires tchadiens.