(Juba) Le plus jeune pays du monde, le Soudan du Sud, souffre de conflits récurrents et d’insécurité alimentaire, sans compter que cette société patriarcale favorise les mariages précoces. L’espoir persiste néanmoins selon Esther Luis, joueuse de l’équipe nationale de soccer féminin qui veut améliorer le sort de sa patrie grâce au sport.

Les néons rejettent une lumière criarde et les enceintes crachent des tubes de R&B trop forts pour s’entendre. C’est sur les appareils de musculation de ce club de conditionnement physique de Juba qu’Esther Luis s’entraîne pendant la pause estivale de l’équipe nationale de soccer féminin du Soudan du Sud.

Cette ex-coureuse de 400, 800 et 1500 m a choisi de quitter l’Ouganda, où sa famille s’est réfugiée lors de la guerre civile qui a ravagé la plus jeune nation du monde, entre 2013 et 2018. À 19 ans, elle est persuadée que « le soccer féminin peut changer l’histoire du Soudan du Sud ».

Cette ambition est portée au niveau national par le plan quadriennal lancé fin 2020 par l’Association de football du Soudan du Sud, qui vise entre autres à accroître de 70 % le nombre de joueuses à l’échelle locale. Un objectif audacieux, dans une société régie par un patriarcat ancré. Plus de la moitié des femmes sont mariées avant leurs 18 ans.

« Beaucoup de parents ne laissent pas leurs filles jouer au foot. Ils ont peur qu’elles ne trouvent pas d’époux par la suite, car elles seraient considérées comme ‟impures”. Ils préfèrent qu’elles restent à la maison pour apprendre les travaux domestiques… », raconte la milieu de terrain.

Une blessure mal soignée

Silhouette filiforme et tresses ramenées en chignon, Esther Luis s’estime chanceuse. Sa mère a elle-même pratiqué l’athlétisme dans sa jeunesse. Alors elle a encouragé ses sept enfants, qu’elle a élevés seule, à faire du sport. Cette dernière est restée en Ouganda, où elle vient de perdre son contrat dans une agence humanitaire.

Avant cela, déjà, son salaire n’a pas suffi à payer les traitements d’Esther Luis lorsqu’elle s’est foulé une cheville au cours d’un match en Afrique du Sud. « Je dis que je vais mieux pour qu’elle ne s’inquiète pas », explique la joueuse, dont la blessure mal soignée demeure douloureuse huit mois plus tard.

PHOTO FOURNIE PAR ESTHER LUIS

Esther Luis portant le maillot de l'équipe nationale

Elle encaisse en même temps les critiques de la tante qui l’héberge. « Tu ne peux pas faire autre chose que de perdre ton temps avec le sport ? », lui reproche-t-elle.

Pour Esther Luis, la patience constitue précisément la clé du succès. « Nous ne devons pas nous précipiter pour atteindre nos buts en une minute. Il faut travailler pour cela », résume celle qui s’inspire de vedettes mondiales issues de milieux modestes.

Des joueuses non payées

Le Soudan du Sud est l’un des pays les plus pauvres de la planète. La situation est en train de s’aggraver à cause de la redirection de l’aide humanitaire vers l’Ukraine. D’après le Famine Early Warning Systems Network, le risque de famine atteint une ampleur inédite depuis l’indépendance de l’État, il y a 11 ans. Le soccer, et d’autant plus sa version féminine, ne fait pas exception à la précarité.

Les joueuses de l’équipe nationale ne sont pas rémunérées régulièrement. Elles ne reçoivent que ponctuellement quelques billets complétés par les dons de leurs fans. Esther Luis occupe en parallèle un emploi à temps partiel dans un cybercafé et commente des matchs à la radio.

Malgré la bonne volonté affichée par la fédération, « il n’y a pas de promotion, pas de marketing et peu de moyens pour nous mettre en relation avec des clubs internationaux », énumère-t-elle. Sans pour autant abandonner son rêve d’intégrer, un jour, un club espagnol de la Liga. « Ma devise c’est : ne te laisse pas briser. Peu importe si c’est dur, la vie continue. »

Dépasser les tensions intercommunautaires

En attendant, elle se plie aux obstacles liés à l’émergence de son sport et plus généralement à l’embourbement économique, social et politique du Soudan du Sud.

J’aime mieux rester dans mon pays et essayer de le faire évoluer que vivre à l’étranger dans de meilleures conditions en me contentant de regarder la mauvaise situation aux informations.

Esther Luis

Elle dédie d’ailleurs son combat aux générations futures. « Le sport participe au développement de la nation et encourage la population à s’unir, insiste-t-elle. Nous venons de différentes tribus et nous avons des parcours divers. Mais le sport nous procure une ombrelle commune. »

Vraisemblablement instrumentalisés par les chefs politiques agrippés au pouvoir, les affrontements intercommunautaires se poursuivent au Soudan du Sud en dépit de la paix signée en 2018. Ces querelles meurtrières écartent peu à peu la perspective d’élections, prévues pour décembre.

« Le sport va finir par faire oublier les conflits passés », continue pourtant d’espérer Esther Luis, en posant la paume de la main sur son cœur.

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  • 5000
    Nombre de joueuses recensées par la fédération sud-soudanaise de football, au moment de lancer son plan quadriennal
    Source : Association de football du Soudan du Sud