L’archevêque Desmond Tutu, mort dimanche, avait beau être entouré d’illustres acolytes comme le dalaï-lama, Richard Branson et Barack Obama, sa vie au Cap était humble et vouée au service de sa communauté. Témoin privilégiée de l’implication à l’échelle mondiale et locale de celui que l’on surnommait « The Arch », la photographe sud-africaine Sumaya Hisham a consacré une vaste portion de son travail à documenter le quotidien de ce pilier de la lutte anti-apartheid.

C’était un soir du printemps 2014. Des dignitaires étaient réunis au théâtre Artscape, au centre-ville du Cap, en Afrique du Sud, à l’occasion de la première de Children of the Light, un documentaire sur la vie et l’œuvre de l’archevêque Desmond Tutu. Sobrement vêtu en civil, l’incandescent archevêque à la retraite était accompagné par sa femme Leah et sa file Mpho.

Tandis que les Tutu gagnaient leurs sièges dans la rangée centrale du théâtre, une jeune femme en jeans et Converse a pris place à leurs côtés, profitant des quelques instants précédant la projection pour croquer subtilement quelques clichés des dignitaires.

PHOTO SUMAYA HISHAM, ARCHIVES REUTERS

L’archevêque Desmond Tutu, en décembre 2013

Cette discrète photographe, qui depuis une décennie a capté une multitude de facettes de Desmond Tutu, s’appelle Sumaya Hisham. Capetonienne issue d’une famille militante d'ascendance indienne, photojournaliste autodidacte qui s’est formée au métier en couvrant les esclandres du président Zuma et le Mondial de football de 2010, elle a documenté les dernières années de la vie de Desmond Tutu.

« The Arch est devenu la conscience morale de l’Afrique du Sud. Depuis la disparition de Nelson Mandela, aucune autre personnalité n’a d’influence ou de stature équivalentes », a résumé la photojournaliste, lors d’un entretien ayant eu lieu avant la mort de Tutu, dans un café du quartier Gardens, au centre-ville du Cap.

Les leçons quotidiennes de The Arch

The Arch ne coulait pas ses jours d’octogénaire dans un château fort, comme l’illustre éloquemment le travail photographique de Sumaya Hisham. Elle a immortalisé le menu, mais charismatique personnage au gré de ses promenades dans les rues du Cap, de ses visites dans des hôpitaux, de ses lectures à des enfants lors du « Mandela Day » ou encore partageant un moment tendre avec sa femme Leah.

Sumaya Hisham était aussi au poste quand, en avril 2014, un Desmond Tutu furieux avait déclaré qu’il ne voterait plus pour l’ANC, après que le parti de Zuma eut tenté d’interdire sa présence aux funérailles de Nelson Mandela.

Ses clichés captent avec éloquence le rire, l’intensité du regard, la joie du vivre de ce personnage plus grand que nature.

Sumaya Hisham a aussi photographié Desmond Tutu lors des services (très) matinaux qu’il officiait à la cathédrale St. George, au cœur du Cap. Lieu mythique associé à la lutte anti-apartheid, la cathédrale a servi de refuge en 1989 à de nombreux militants et journalistes ciblés pour avoir défié le gouvernement d’apartheid, lors de la manifestation « Purple Rain. » C’est à cette même cathédrale que la photographe a présenté sa première exposition #TUTU, qui a par la suite voyagé à Londres et à New York.

Avec des parents très politisés, des cousins journalistes, des oncles et tantes impliqués dans la lutte anti-apartheid, Sumaya Hisham a été dès son jeune âge préparée à une carrière axée sur la justice et l’égalité dans la « nation arc-en-ciel ». Elle a vite saisi le rôle crucial qu’a joué Desmond Tutu dans la longue lutte pour la libération du peuple sud-africain.

PHOTO SUMAYA HISHAM, REUTERS

Lundi, au Cap, en Afrique du Sud, des membres de la famille Tutu recevaient des fleurs de la part de sympathisants.

Ses premiers souvenirs de The Arch remontent au temps où elle a pris connaissance du militantisme de Tutu, par l’entremise de coupures de journaux et d’enregistrements vidéo provenant de la presse étrangère, qui entraient au pays de manière illicite. À l’époque, Tutu était banni par le gouvernement de l’apartheid.

« Ces enregistrements illégaux montraient Tutu dans sa robe mauve, qui priait lors de funérailles, à la mémoire de militants tués par la police ou implorant la fin de la violence », se souvient Sumaya Hisham.

Être femme, photojournaliste et Sud-Africaine

Pour la photographe, qui s’est relocalisée à Johannesburg par manque de travail au Cap en raison de la pandémie, les derniers mois ont aussi été tumultueux.

Travaillant pour Reuters et mère d’un adolescent, elle achève ces jours-ci un livre de photos sur Tutu, après des mois intenses à couvrir la crise de la COVID-19 et les évènements de pillage qui ont secoué la société civile sud-africaine à l’été 2021.

Sa toute première rencontre avec l’archevêque Desmond Tutu a été lors d’une conférence de presse à son domicile. « Quand il est venu me parler, j’étais sous le choc », relate Sumaya Hisham, évoquant la disposition engageante de Tutu envers absolument tout le monde.

« Des gens comme Bono se sont prosternés devant lui. Mais The Arch, il est resté le même, accueillant chaleureusement chaque personne avec respect. À mes yeux, il incarne avec une réelle sincérité l’Ubuntu. » L’Ubuntu est une philosophie humaniste sud-africaine qui peut se rapprocher des notions de « fraternité et humanité ».