(Le Cap) C’était la dernière des grandes figures de la lutte contre l’apartheid : l’archevêque anglican Desmond Tutu, la conscience de l’Afrique du Sud, mais aussi un rire espiègle et puissant, est mort dimanche à 90 ans.

Jusqu’à récemment, le Prix Nobel de la paix a imposé sa petite silhouette violette et son franc-parler légendaire pour dénoncer les injustices et écorner tous les pouvoirs.

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Le président Cyril Ramaphosa a exprimé « sa profonde tristesse » face à la mort de ce « patriote sans égal », intègre et invincible contre les forces de l’apartheid, qui laisse une veuve, « Mama Leah », et quatre enfants.

Cette mort représente « un nouveau chapitre de deuil dans l’adieu à une génération de Sud-Africains exceptionnels » qui « nous ont légué » un pays « libéré », a-t-il ajouté, un mois après la mort de Frederik de Klerk, dernier président blanc du pays.

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De gauche à droite : Desmond Tutu, Nelson Mandela et Frederik de Klerk discutent lors d’une annonce pour le projet Nobel Peace, en décembre 2003.

Après l’avènement de la démocratie en 1994 et l’élection de son ami Nelson Mandela, Desmond Tutu avait inventé le terme de « nation arc-en-ciel ». Il a présidé la Commission vérité et réconciliation (TRC) dont il espérait, grâce à la confrontation des bourreaux et des victimes, qu’elle permettrait de tourner la page de la haine raciale.

« The Arch », comme le surnomment affectueusement les Sud-Africains, était affaibli depuis plusieurs mois. Souffrant depuis longtemps d’un cancer de la prostate, il est mort, sans doute de vieillesse, paisiblement dimanche matin, selon des proches.

Il ne s’exprimait plus en public, mais saluait la presse présente à chacun de ses déplacements, d’un regard malicieux, d’un faible geste de la main, comme lors de sa vaccination contre la COVID-19 ou, en octobre, à la cérémonie célébrant ses 90 ans.

« C’est si triste »

Une prière a été dite à la cathédrale Saint-Georges du Cap, son ancienne paroisse, où des passants sont venus déposer des fleurs et se recueillir.

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Desmond Tutu a été vacciné contre la COVID-19 en mai dernier.

C’est là qu’auront lieu ses obsèques, samedi, a annoncé sa fondation dans la soirée. D’ici là, les cloches seront sonnées chaque jour dix minutes, pour penser à lui. Et les drapeaux seront en berne dans tout le pays, a ajouté M. Ramaphosa.

« C’est si triste », soupirait Miriam Mokwadi, 67 ans, tenant sa petite-fille par la main devant l’édifice. « Tutu était un vrai héros, il s’est battu pour nous. »

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Un couple se recueille devant une photo de Desmond Tutu installée à l’extérieur de la cathédrale Saint-Georges, au Cap.

Les joueurs sud-africains de cricket ont porté dimanche un brassard noir. Et la montagne de la Table, qui surplombe Le Cap, était illuminée de violet dans la soirée, comme la mairie.

Son ami le dalaï-lama, chef spirituel des Tibétains, avec qui il a partagé des fous rires mémorables, a souligné « le lien spirituel » qui les unissait.

L’ancien président américain Barack Obama a évoqué « un ami, un mentor, un repère moral », tandis que l’actuel, Joe Biden, s’est dit « le cœur brisé ». La reine Élisabeth II a salué le défenseur « inlassable » des droits de la personne.

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Barack Obama et Desmond Tutu, en juin 2013

« Un géant est tombé », a estimé l’opposant ougandais Bobi Wine. Son combat « restera dans nos mémoires », a souligné le président français Emmanuel Macron.

Un combat non violent

Desmond Tutu s’était fait connaître aux pires heures du régime raciste de l’apartheid. Alors prêtre, il organise des marches pacifiques contre la ségrégation et plaide pour des sanctions internationales contre le régime blanc de Pretoria. Sa robe lui a épargné la prison.

Sa fille Mpho Tutu van Furth avait raconté en octobre un souvenir d’enfance symptomatique de l’apartheid : « On s’était arrêtés sur la route et mon père est allé nous acheter des glaces. L’employé lui a dit qu’il ne servait pas les ‟kaffirs”. Mon père est sorti en trombe, nous n’avons pas mangé de glace ce jour-là. »

Le combat non violent de Tutu avait été couronné du prix Nobel de la paix en 1984.

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Desmond Tutu pose avec son prix Nobel en compagnie du président du comité, Egil Aarvik, le 10 décembre 1984 à Oslo, en Norvège.

Après l’apartheid, fidèle à ses engagements, il avait dénoncé les dérives de l’ANC au pouvoir, des errements dans la lutte contre le sida aux scandales de corruption.

En 2013, il avait promis de ne plus voter pour le parti fossoyeur de l’apartheid : « Je n’ai pas combattu pour chasser des gens qui se prenaient pour des dieux de pacotille et les remplacer par d’autres. »

Parmi ses autres combats, il a aussi défendu les homosexuels – « Je ne vénérerais pas un Dieu homophobe » – et milité pour le droit au suicide assisté.

La dernière fois que le pays a eu de ses nouvelles, c’était le 1er novembre. Loin des regards, il avait voté aux élections locales.

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