(Washington) Joe Biden s’est dit prêt mardi à priver l’Éthiopie d’un accord commercial vital avec les États-Unis, en raison des violations des droits humains perpétrées dans la région dissidente du Tigré, une menace dénoncée par Addis Abeba.

Le Tigré, en proie depuis près d’un an à un conflit entre les autorités dissidentes locales et les forces du gouvernement éthiopien, a été le théâtre de massacres et de viols de masse, dénoncés par le secrétaire d’État américain Antony Blinken comme des « actes de nettoyage ethnique ».

En réponse à ces violations des droits humains, Joe Biden a expliqué mardi au Congrès qu’Addis Abeba serait privé à compter de janvier – de même que la Guinée et le Mali, deux pays théâtres de coups d’État – des avantages prévus par une loi américaine qui exempte les pays d’Afrique subsaharienne de droits de douane américains.

« Notre administration est profondément préoccupée […] par les violations flagrantes des droits humains internationalement reconnues, perpétrées par le gouvernement éthiopien et d’autres factions […] dans le nord de l’Éthiopie », a indiqué la représentante américaine au Commerce, Katherine Tai, dans un communiqué.

L’émissaire américain pour la Corne de l’Afrique, Jeffrey Feltman, a accusé de son côté Addis Abeba d’entraver la livraison d’aide humanitaire aux régions disputées.

« Aucun gouvernement ne peut tolérer d’insurrection armée, nous comprenons cela, mais aucun gouvernement ne devrait adopter des mesures ou autoriser des pratiques conduisant à massivement affamer ses propres citoyens », a-t-il lancé.

Plus tard mardi, le département d’État a recommandé aux voyageurs américains de ne pas se rendre en Éthiopie à cause du danger représenté par le conflit armé, relevant son avertissement au niveau maximal.

« Les citoyens américains se trouvant en Éthiopie devraient envisager de partir » en empruntant les lignes commerciales, a précisé le bureau du porte-parole dans un communiqué.

Impact à long terme

Les autorités éthiopiennes, qui redoutaient depuis plusieurs semaines la perte des avantages de la loi américaine sur la croissance et les opportunités en Afrique (dite Agoa, pour African growth and opportunity act), ont dénoncé mardi la décision américaine.

« Nous sommes extrêmement déçus par la menace de retrait de l’Agoa actuellement envisagée par le gouvernement américain », a déclaré le ministère éthiopien du Commerce, demandant que cette décision soit « annulée » avant son entrée en vigueur le 1er janvier.

« Le retrait de l’Éthiopie de l’Agoa porterait un coup sérieux au bien-être de millions de travailleurs à faible revenu à un moment où l’industrie manufacturière éthiopienne enregistre des niveaux de production mensuels record », avait auparavant averti Mamo Mihretu, un conseiller du premier ministre Abiy Ahmed, dans l’édition d’octobre du magazine Foreign Policy.

Selon lui, depuis l’adoption de l’Agoa, les exportations éthiopiennes vers les États-Unis sont passées de 28 millions de dollars en 2000 à près de 300 millions de dollars en 2020, avec près de la moitié de ce total directement lié à ces avantages commerciaux.

Netsanet Sidamo, qui supervise la fabrication de vêtements à Hawassa, dans le sud de l’Éthiopie, a ainsi déclaré à l’AFP qu’elle recevait 4000 birr éthiopiens par mois (environ 85 dollars), une somme qui l’a aidée à payer son loyer, à subvenir aux besoins de sa famille et à obtenir un diplôme universitaire.

« Si l’entreprise arrête ses activités, non seulement moi, mais encore des milliers de mes collègues n’auront nulle part où aller », a-t-elle confié.

État d’urgence

« Les États-Unis exhortent ces gouvernements (l’Éthiopie, la Guinée et le Mali, NDLR) à prendre les mesures nécessaires pour répondre aux critères statutaires afin que nous puissions reprendre nos précieux partenariats commerciaux », a indiqué Katherine Tai.

L’Agoa accorde en effet depuis 2000 de larges exemptions douanières à une quarantaine de pays africains pour exporter leurs produits aux États-Unis, à condition qu’ils améliorent leurs réglementations en matière de droits humains et de conditions de travail.

L’émissaire Jeffrey Feltman a également demandé mardi aux rebelles du Tigré de ne pas marcher sur la capitale, Addis Abeba, lors d’une intervention à l’Institut américain pour la paix.

« Nous nous opposons à tout mouvement du TPLF (le Front de libération du peuple du Tigré, NDLR) vers Addis (Abeba) ou toute action visant à assiéger Addis », a-t-il souligné.

Le TPLF a revendiqué ces derniers jours la prise de Dessie et de Kombolcha, deux villes situées à un carrefour routier stratégique à quelque 400 kilomètres au nord d’Addis Abeba, sans exclure de marcher sur la capitale.

Le gouvernement éthiopien, qui a démenti avoir perdu le contrôle de ces villes, a déclaré l’état d’urgence dans l’ensemble du pays, a annoncé mardi un média d’État.