(Addis Abeba) Le gouvernement éthiopien a annoncé jeudi l’expulsion de sept responsables d’agences de l’ONU accusés d’« ingérence », une décision qui alimente les craintes autour de la grave crise humanitaire en cours dans le nord du pays, ravagé par la guerre depuis plus de dix mois.

Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, s’est dit « choqué », en assurant que « toutes les opérations humanitaires des Nations unies sont guidées par les principes fondamentaux d’humanité, d’impartialité, de neutralité et d’indépendance ».

Selon des diplomates, une réunion en urgence du Conseil se sécurité de l’ONU se tiendra à huis clos vendredi à la mi-journée sur cette expulsion.

Elle a été demandée par l’Irlande, l’Estonie, la France, la Norvège, le Royaume-Uni et les États-Unis, a précisé un diplomate.

Washington a également condamné « avec la plus grande force » cette annonce et affirmé qu’il « n’hésitera pas » à « utiliser tout outil à sa disposition », en rappelant que les autorités américaines avaient la possibilité de prendre des sanctions financières contre les protagonistes du conflit ravageant le nord de l’Éthiopie.

Le ministère éthiopien des Affaires étrangères a déclaré « persona non grata sept personnes travaillant pour diverses ONG internationales en Éthiopie, pour ingérence dans les affaires internes du pays ».  

Le communiqué donne sept noms de responsables d’agences onusiennes, parmi lesquelles le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) et le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (Ocha), qui « doivent quitter le territoire dans les 72 heures ».

Le nord de l’Éthiopie est en proie aux combats depuis novembre, quand le premier ministre Abiy Ahmed a envoyé l’armée dans la région du Tigré pour renverser les autorités régionales issues du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF), qu’il accuse d’avoir orchestré des attaques contre des camps militaires fédéraux.

Le conflit s’est enlisé durant plusieurs mois, avant que les combattants pro-TPLF reprennent le contrôle de la région fin juin.  

Selon l’ONU, 400 000 personnes ont « franchi le seuil de la famine » au Tigré, mais très peu d’aide humanitaire parvient dans la région.

Les combats ont gagné les régions voisines de l’Afar et de l’Amhara, où 1,7 million de personnes sont désormais confrontées à la faim.

Famine redoutée

Addis Abeba et le TPLF s’accusent mutuellement d’entraver l’acheminement de l’aide et d’affamer la population.

Les autorités fédérales affirment que les combats menés par le TPLF empêchent l’aide d’arriver, mais un porte-parole du département d’État américain a déclaré à l’AFP la semaine dernière que les accès étaient « refusés par le gouvernement éthiopien » dans une situation qui s’apparente à « un siège ».

Les autorités éthiopiennes n’ont donné aucune explication sur « l’ingérence » évoquée.

Les personnes et organisations ciblées ont régulièrement dénoncé les conditions de vie désastreuses au Tigré.

Le coordinateur humanitaire par intérim de l’ONU pour l’Éthiopie, Grant Leaity, avait affirmé début septembre que le Tigré était soumis à « un blocus de facto », menant à l’épuisement des stocks d’aide, d’argent et de carburant dans la région.

L’UNICEF avait estimé en juillet que plus de 100 000 enfants pourraient souffrir de malnutrition mortelle durant les 12 prochains mois, soit dix fois la moyenne annuelle.

Des médecins ont dernièrement affirmé à l’AFP redouter une famine semblable à celle des années 1980 qui avait fait, selon l’ONU, environ un million de morts.

« Coup dur »

L’expulsion de responsables de l’ONU constitue un « coup dur », a estimé le Dr Hayelom Kebede, directeur de recherche de l’hôpital Ayder de Mekele, la capitale du Tigré.  

« Maintenant, il n’y aura aucune aide pour les enfants malnutris. […] Nous allons assister à une augmentation catastrophique du nombre de morts d’enfants dans les prochains jours », a-t-il affirmé.

Ces expulsions font suite à la suspension en juillet pour trois mois des activités de la section néerlandaise de Médecins sans frontières (MSF) et du Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC), accusées de « diffuser de la désinformation ».

Cette décision va affecter « des millions de Tigréens […] et de nombreux autres Éthiopiens dans le besoin », a déploré Human Rights Watch.

L’ONG Refugees International a également estimé que cela « ne fera qu’aggraver la crise » et appelé l’ONU, les États-Unis et l’Union africaine à exiger du gouvernement éthiopien qu’il « mette fin au blocus de l’aide ».

Pour le porte-parole du TPLF, Getachew Reda, il s’agit d’une décision « triste, mais réelle » d’Abiy Ahmed, qui « ne peut être ramené à la raison ».

L’Éthiopie tenait jeudi des élections législatives dans trois régions, où le vote n’avait pu se tenir en juin.

Abiy Ahmed, prix Nobel de la paix 2019,  est d’ores et déjà assuré d’un nouveau mandat de cinq ans après la victoire écrasante de son Parti de la prospérité lors du scrutin de juin. Il doit prêter serment lundi.  

Dans le sud-ouest du pays se tenait également un référendum sur la création d’une onzième région.

Ces élections, qui se sont déroulées « sans aucun problème de sécurité », « rendront notre démocratie complète », a déclaré Abiy Ahmed sur Twitter.