(Khartoum) Le Soudan a annoncé mercredi son intention de remettre à la Cour pénale internationale (CPI) l’ancien autocrate Omar el-Béchir et deux autres dirigeants, réclamés depuis plus de dix ans pour « génocide » et crimes contre l’humanité lors du conflit au Darfour.

Le conflit dans cette région de l’ouest du pays a opposé au début des années 2000 le régime à majorité arabe de M. Béchir à des rebelles issus de minorités ethniques s’estimant marginalisées. Il a fait environ 300 000 morts et près de 2,5 millions de déplacés, essentiellement durant les premières années, d’après les Nations unies.

« Le Conseil des ministres a décidé de remettre les personnes recherchées à la CPI », a déclaré la ministre des Affaires étrangères, Mariam al-Mahdi, selon l’agence officielle Suna, sans préciser de date.

Elle s’exprimait lors d’une rencontre avec le nouveau procureur général du tribunal basé à La Haye (Pays-Bas), Karim Khan, en visite à Khartoum.

La décision de remettre M. Béchir à la CPI doit encore obtenir l’approbation du Conseil souverain, la plus haute instance dirigeante au Soudan, composée de civils et de militaires.

Fille de l’ancien premier ministre Sadek al-Mahdi, renversé en 1989 par un coup d’État mené par M. Béchir, la ministre soudanaise a souligné « l’importance » de la coopération avec la CPI « pour obtenir justice pour les victimes de la guerre du Darfour ».  

« Demandes de la révolution »

« L’engagement du Soudan à chercher justice […] vient comme une réponse aux requêtes du peuple et réalise les revendications de la révolution », a déclaré dans un communiqué le premier ministre Abdallah Hamdok après avoir rencontré M. Khan.

Washington, par le biais de son porte-parole de la diplomatie Ned Price, a pour sa part salué « une avancée majeure pour le Soudan dans la lutte contre des décennies d’impunité ».

Omar el-Béchir, 77 ans, a été renversé après 30 ans d’un règne sans partage en avril 2019 sous l’impulsion d’un mouvement populaire inédit déclenché par le triplement du prix du pain.

En février 2020, le pouvoir de transition militaro-civil mis en place après sa chute s’était engagé à favoriser sa comparution devant la CPI, qui a émis il y a plus de dix ans des mandats d’arrêt contre lui et d’autres figures de son régime, pour « crimes contre l’humanité », « crimes de guerre » et « génocide » au Darfour.

L’autocrate avait plusieurs fois défié la Cour en voyageant à l’étranger sans être arrêté.

La CPI, qui n’a pas souhaité commenter la décision soudanaise, a annoncé la tenue d’une conférence de presse jeudi à 16 h 30 locales (14 h 30 GMT) à Khartoum avec M. Khan.

Les deux autres responsables qui doivent être remis à la CPI sont l’ex-gouverneur de l’État du Kordofan-Sud et ancien ministre, Ahmed Haroun, et l’ex-ministre de la Défense, Abdel Rahim Mohamed Hussein, recherchés pour les mêmes motifs. Arrêtés après la chute de M. Béchir, ils sont détenus au Soudan.

« Victimes innombrables »

La CPI a émis en 2007 un mandat d’arrêt contre M. Haroun, avec 42 chefs d’accusation, notamment meurtre, viol, torture, persécution et pillage.

Un accord de paix historique signé en octobre 2020 entre le gouvernement de transition et plusieurs groupes rebelles insistait sur la nécessité d’une « coopération complète » avec la CPI.

Le cabinet ministériel a voté la semaine dernière en faveur de la ratification du Statut de Rome de la CPI.

Le procureur général du Soudan, Moubarak Mahmoud, avait déclaré mardi, après une rencontre avec M. Khan, que son bureau était prêt à coopérer avec la CPI.

Sur Twitter, l’envoyé spécial de l’ONU pour le Soudan, Volker Perthes, a indiqué que « la CPI peut aider à établir un tribunal spécial pour le Darfour ».  

Depuis la chute de M. Béchir, plusieurs scénarios avaient été envisagés pour le juger. M. Hamdok avait notamment suggéré en octobre 2020 la création, au Soudan, d’un « tribunal hybride » composé de magistrats de La Haye et de juges soudanais.

Déjà reconnu coupable de corruption en décembre 2019, l’ex-président est actuellement détenu à la prison de Kober, à Khartoum.

Il est aussi jugé par la justice soudanaise pour son rôle dans le coup d’État soutenu par des islamistes qui l’a porté au pouvoir en 1989 mais son procès a été à plusieurs reprises reporté.

Voici les grandes dates du président soudanais déchu Omar el-Béchir, que Khartoum va remettre à la Cour pénale internationale (CPI) qui le recherche depuis plus d’une décennie pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre lors du conflit au Darfour.

1er janvier 1944

Naissance dans une famille rurale à Hosh Bannaga, au nord de Khartoum.

1973

Militaire de carrière, participe à la guerre israélo-arabe.

30 juin 1989

Il prend le pouvoir à la faveur d’un coup d’État soutenu par les islamistes contre le gouvernement démocratiquement élu de Sadek al-Mahdi.

2003

Il lance ses troupes contre une rébellion au Darfour (ouest). Le conflit fait plus de 300 000 morts, notamment durant les premières années, selon l’ONU.

2005

Il signe un accord de paix avec la rébellion sudiste après plus de 21 ans de guerre civile.

2009

Il est visé par un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) pour « crimes de guerre » et « crimes contre l’humanité » au Darfour, puis en 2010 pour « génocide ».

2010

Il est élu président lors des premières élections multipartites, boycottées par l’opposition. Réélu en 2015.

2011

Le Soudan du Sud proclame son indépendance. Khartoum perd les trois quarts de ses réserves pétrolières.

2013

Manifestations sans précédent contre la hausse du prix du carburant.

11 avril 2019

Après quatre mois d’un mouvement de contestation populaire sévèrement réprimé, Omar el-Béchir est destitué par l’armée et incarcéré.

Décembre 2019

Il est condamné à deux ans de prison pour corruption. Le Soudan ouvre une enquête contre lui pour crimes au Darfour.

21 juillet 2020

Ouverture du procès pour son rôle dans le coup d’État de 1989, plusieurs fois reporté.

11 août 2021

Le Soudan annonce qu’il va remettre Omar el-Béchir à la CPI.

En juin 2020, le chef de la milice des Janjawid, force supplétive du gouvernement accusée d’atrocités au Darfour, Ali Kosheib, s’était rendu à la CPI après 13 ans de fuite. Il a démenti les charges.