(Addis Abeba) Le premier ministre éthiopien Abiy Ahmed a annoncé samedi soir que l’armée avait pris le « contrôle » de Mekele, la capitale du Tigré (Nord), une étape décisive de l’opération militaire entamée le 4 novembre dans cette région dissidente.

Les autorités tigréennes issues du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF), que combat le gouvernement, seraient retranchées dans cette ville qui comptait 500 000 habitants avant le début du conflit.

« Le gouvernement fédéral a maintenant pris le contrôle total de la ville de Mekele », a déclaré M. Abiy dans un communiqué posté sur Twitter.

Le premier ministre réaffirme que la prise de Mekele marque l’accomplissement de la « phase finale » de l’opération militaire démarrée le 4 novembre.  

Il ajoute que l’armée « mène l’opération avec la précision et le soin nécessaire […] pour s’assurer que les civils ne sont pas ciblés » et qu’elle a pris le contrôle de l’administration régionale.

Le chef de l’armée, Berhanu Jula, a de son côté affirmé dans un message diffusé sur la télévision officielle éthiopienne EBC que l’armée « chasse les membres du TPLF qui se cachent ».  

Il précise que plus de 7000 membres du Commandement Nord de l’armée fédérale ont été libérés.  

Contactés, les dirigeants du TPLF n’étaient pas joignables dans l’immédiat.

« Tirs à l’arme lourde »

La vérification sur le terrain des affirmations de l’un et l’autre camp demeure très difficile, le Tigré étant quasiment coupé du monde depuis le début du conflit.

Samedi matin, les autorités tigréennes affirmaient via la télévision locale Tigray TV que des « tirs à l’arme lourde » touchaient Mekele, une information que deux responsables humanitaires ayant des équipes dans cette ville ont confirmé à l’AFP.  

Le gouvernement tigréen y appelait la communauté internationale « à condamner les attaques d’artillerie et d’avions militaires et les massacres » commis sur « les civils et les infrastructures » par M. Abiy et par Issaias Afeworki, le président érythréen, qu’il accuse d’épauler Addis Abeba dans le conflit.   

Depuis la mi-journée, Tigray TV diffuse en boucle des programmes musicaux.   

« Les prochains enjeux clés sont de savoir quelles intentions et quelles capacités les forces tigréennes ont à continuer la résistance armée », a déclaré William Davison, de l’International Crisis Group (ICG), après l’annonce du contrôle de Mekele.

Il s’interroge également sur la façon dont les Tigréens vont « réagir face au gouvernement provisoire qui va être installé » par Addis Abeba.  

Aucun bilan précis du conflit n’est jusqu’ici disponible, mais l’ICG a estimé vendredi que « plusieurs milliers de personnes sont mortes dans les combats ».  

Dans leur communiqué, les dirigeants tigréens ont promis « une réponse proportionnée » aux « massacres » commis selon eux par l’armée sur « les civils et les infrastructures. »

Vendredi soir, au moins une roquette tirée depuis le Tigré a ciblé selon des sources diplomatiques la capitale de l’Érythrée, Asmara. D’éventuels victimes ou dégâts ne sont toujours pas connus.

Le TPLF, qui avait visé Asmara il y a dix jours avec des armes similaires, n’a pas revendiqué ce tir et ni l’Éthiopie ni l’Érythrée n’ont réagi à ce sujet.

« Prier pour l’Éthiopie »

Inquiète d’une propagation du conflit à l’échelle régionale, la communauté internationale a également alerté sur de possibles « crimes de guerre » en Éthiopie et tenté de faire pression sur M. Abiy pour qu’il accepte une médiation.  

L’Union africaine (UA), dont le siège est à Addis Abeba, a nommé en ce sens trois envoyés spéciaux,  les anciens présidents mozambicain Joaquim Chissano, libérienne Ellen Johnson-Sirleaf et sud-africain Kgalema Motlanthe.

Après les avoir rencontrés vendredi, M. Abiy a exprimé sa « gratitude » mais a rappelé que son gouvernement avait « la responsabilité constitutionnelle de maintenir l’ordre (au Tigré) et à travers le pays ».

Dans un communiqué publié samedi, l’UA a de son côté  salué que le premier ministre ait évoqué lors de cet entretien l’établissement d’un comité fédéral pour « répondre aux besoins humanitaires essentiels » et d’un corridor humanitaire, sans donner de précision.  

Le pape François a appelé samedi sur Twitter à « prier pour l’Éthiopie, où les combats armés se sont intensifiés » et débouchent sur une « situation humanitaire grave ».  

Plus de 43 000 Éthiopiens ont fui au Soudan voisin, selon le HCR, l’agence onusienne chargée des réfugiés.  

« Nous avons maintenant devant nous la tâche critique de reconstruire ce qui a été détruit, de réparer ce qui a été endommagé, de faire revenir ceux qui ont fui, avec comme principale priorité le retour à la normale pour le peuple de la région du Tigré », a également déclaré M. Abiy.

Les tensions entre M. Abiy et le TPLF, qui a dominé pendant près de trois décennies l’appareil politique et sécuritaire de l’Éthiopie, n’ont cessé de croître depuis l’arrivée au pouvoir du premier ministre en 2018.

Elles ont culminé avec l’organisation au Tigré en septembre d’un scrutin régional qualifié « d’illégitime » par Addis Abeba, puis avec l’attaque début novembre de deux bases de l’armée fédérale attribuée aux forces du TPLF, ce que ce dernier a démenti.