Le gouvernement éthiopien et ses opposants dans le Tigré bombent le torse en prévision d’une offensive militaire annoncée contre la capitale régionale, Mekele, faisant craindre une catastrophe humanitaire.

Le premier ministre, Abiy Ahmed, avait donné dimanche 72 heures aux membres du Front de libération des peuples du Tigré (TPLF) pour poser les armes en assimilant les dirigeants de l’organisation à un « groupe terroriste » voué à la destruction de la ville et de ses 500 000 habitants.

Il a assuré en lançant son ultimatum, qui arrive à échéance mercredi, que « toutes les précautions » seraient prises pour protéger les civils.

Un officier de haut rang de l’armée a avisé la population qu’elle devrait quitter la ville pendant qu’elle le peut puisque l’opération militaire serait « sans pitié » et reposerait en partie sur l’utilisation d’artillerie lourde.

Le chef du TPLF, Debretsion Gebremichael, a prévenu lundi que le premier ministre ne comprenait pas qui sont les Tigréens.

Nous sommes des gens de principe et nous sommes prêts à mourir pour défendre notre droit de gérer la région.

Debretsion Gebremichael, chef du Front de libération des peuples du Tigré

La Haute-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Michèle Bachelet, a sommé mardi les deux camps de porter la plus grande attention au sort de la population.

« La rhétorique extrêmement agressive venant de part et d’autre relativement à la bataille de Mekele est dangereusement provocatrice et risque d’exposer des civils apeurés et fragiles à un grave danger », a-t-elle souligné en évoquant la possibilité de nouvelles violations au droit humanitaire international.

L’Union africaine a désigné de son côté trois ex-présidents africains pour agir comme médiateur dans le conflit, mais s’est butée à la fin de non-recevoir du premier ministre.

« Il avait d’abord donné son accord, mais a changé d’avis en relevant qu’il s’agit d’une opération pour rétablir la loi et l’ordre contre des criminels », relève Martin Plaut, un spécialiste de la région rattaché à l’Université de Londres.

  • Des Tigréens attendent l’aide alimentaire au camp pour réfugiés Umm Rakouba, à Qadarif, situé dans l’est du Soudan et au nord-ouest de l’Éthiopie.

    PHOTO NARIMAN EL-MOFTY, ASSOCIATED PRESS

    Des Tigréens attendent l’aide alimentaire au camp pour réfugiés Umm Rakouba, à Qadarif, situé dans l’est du Soudan et au nord-ouest de l’Éthiopie.

  • Le nombre d’Éthiopiens fuyant Mekele augmente d’heure en heure. Certains ont gagné les camps pour réfugiés des pays voisins, dont celui de Fashaga, à la frontière du Soudan.

    PHOTO MOHAMED NURELDIN ABDALLAH, REUTERS

    Le nombre d’Éthiopiens fuyant Mekele augmente d’heure en heure. Certains ont gagné les camps pour réfugiés des pays voisins, dont celui de Fashaga, à la frontière du Soudan.

  • Cet Éthiopien fuit son pays en traversant la rivière Setit.

    PHOTO MOHAMED NURELDIN ABDALLAH, REUTERS

    Cet Éthiopien fuit son pays en traversant la rivière Setit.

  • Ce Tigréen a quitté sa maison pour trouver refuge au camp de Fashaga, situé à la frontière entre le Soudan et l’Éthiopie.

    PHOTO MOHAMED NURELDIN ABDALLAH, REUTERS

    Ce Tigréen a quitté sa maison pour trouver refuge au camp de Fashaga, situé à la frontière entre le Soudan et l’Éthiopie.

  • Debretsion Gebremichael, chef du Front de libération des peuples du Tigré.

    PHOTO TIKSA NEGERI, REUTERS

    Debretsion Gebremichael, chef du Front de libération des peuples du Tigré.

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« Régime autoritaire »

Abiy Ahmed a lancé l’offensive dans le Tigré le 4 novembre après avoir allégué que des forces liées au TPLF avaient ciblé des bases de l’armée dans la région.

Il reproche aux dirigeants de l’organisation de bafouer l’autorité du gouvernement central en septembre en tenant des élections régionales qui ont exacerbé les tensions existantes jusqu’au point de cassure.

Le premier ministre, qui a reçu le prix Nobel de la paix l’année dernière pour ses efforts de rapprochement avec l’Érythrée voisine, multiplie les démarches pour consolider son pouvoir depuis sa nomination en 2018 et a marginalisé dans le processus le TPLF, longtemps la force politique dominante au pays.

Asafa Jalata, spécialiste de l’Afrique rattaché à l’Université du Tennessee, pense qu’Abiy Ahmed cherche à « établir son propre régime autoritaire » en contestant par les armes toute forme d’opposition.

Il s’est coupé notamment dans le processus du soutien des Omoros, sa propre communauté ethnique, après avoir utilisé leurs revendications pour faire des gains politiques, souligne M. Jalata.

Le professeur espère que la communauté internationale saura forcer l’adoption d’un cessez-le-feu qui permettrait l’ouverture de négociations. Le pays risque, dans le cas contraire, de se fractionner sous l’effet d’importantes tensions ethniques, dit-il.

En plus de pouvoir compter sur l’aide de l’Érythrée, le premier ministre est soutenu par un autre groupe ethnique important, les Amharas, qui ont depuis longtemps maille à partir avec le TPLF pour des questions de territoire.

Leurs forces réunies signifient que le gouvernement central finira sans doute par prendre le contrôle de Mekele, mais ça ne sera pas la fin du conflit, prévient M. Plaut.

Les Tigréens, dit-il, ont mené une longue guerre de guérilla contre la junte militaire qui a été chassée du pouvoir au début des années 90 et mettront cette expérience à profit contre le gouvernement actuel.

« Si l’armée prend Mekele, leurs combattants vont se réfugier dans les montagnes et les affrontements vont continuer sous une autre forme. L’ordre ne reviendra pas de sitôt », prévient l’analyste, qui y voit un risque important pour le premier ministre.

« Il est clair que l’opération militaire en cours ne sera pas brève et précise comme il le souhaitait. Si les choses s’enlisent à cause de la guérilla, que les jours deviennent des semaines, les semaines des mois, il est fini politiquement », relève M. Plaut.