Depuis quelques semaines, d’immenses essaims de criquets volent à l’assaut des champs de la corne de l’Afrique. Si la crise est née dans la foulée d’un évènement climatique, c’est surtout la négligence des pays aux prises avec des conflits armés qui a amplifié l’infestation.

Appel à l’aide

Ce n’est pas encore à proprement parler une « invasion », comme l’une des six grandes catastrophes semblables que le continent africain a connues au cours du siècle dernier (la dernière datant de 1987-1989). Néanmoins, la prolifération rapide d’essaims de criquets pèlerins dans l’est de l’Afrique inquiète suffisamment l’ONU pour qu’un appel ait été lancé en début de semaine à la communauté internationale pour aider les pays concernés. « Il y a 13 millions de personnes dans ces pays concernés qui ont des difficultés d’accès à la nourriture. Dix millions de ces personnes résident dans des zones touchées par les criquets », a déclaré lundi le secrétaire général adjoint pour les Affaires humanitaires de l’ONU, Mark Lowcock. Si une « réponse rapide » n’arrive pas, a averti M. Lowcock, la communauté internationale fera face à « un énorme problème plus tard dans l’année ».

PHOTO BEN CURTIS, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Si une « réponse rapide » n’arrive pas, a averti M. Lowcock, la communauté internationale fera face à « un énorme problème plus tard dans l’année ».

Après le cyclone

La crise est née en 2018 quand deux cyclones ont touché le Yémen, explique Cyril Piou, spécialiste au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, joint cette semaine à Montpellier, en France. Les fortes pluies causées par les tempêtes ont engendré une prolifération de la végétation dans les zones semi-désertiques habitées par les criquets pèlerins, et ainsi favorisé leur multiplication. « Cette multiplication aurait dû être arrêtée par de la gestion préventive, dit M. Piou. Mais au Yémen et en Somalie, en raison des guerres civiles, cette gestion préventive n’a pas fonctionné. » Les experts internationaux n’ont pas non plus pu avoir accès au terrain au Yémen pour observer la multiplication des insectes. « On n’a peut-être pas eu une bonne mesure du phénomène qui était en train de s’amplifier. »

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« La situation aujourd’hui est vraiment préoccupante, avec des essaims d’une taille qui n’avait pas été vue depuis de nombreuses années, dit M. Piou. C’est difficile de les traiter maintenant qu’ils sont énormes. » En une journée, un criquet pèlerin peut parcourir jusqu’à 150 km.

Vers la corne de l’Afrique

Au début de l’année dernière, des essaims se sont répandus autour de la mer Rouge. En juin, en période de reproduction, ils ont gagné la Somalie, le Kenya et l’Éthiopie. Les inondations de l’automne dernier ont, elles aussi, favorisé leur multiplication, si bien que depuis quelques semaines, des nuages de criquets ont été photographiés dans la région. Il s’agit de la pire infestation du genre en 25 ans pour la Somalie et l’Éthiopie, et la pire en 70 ans pour le Kenya. Dimanche dernier, les premiers essaims ont été observés en Ouganda. Les insectes sont également arrivés aux portes de la Tanzanie et sont attendus au Soudan du Sud. « La situation aujourd’hui est vraiment préoccupante, avec des essaims d’une taille qui n’avait pas été vue depuis de nombreuses années, dit M. Piou. C’est difficile de les traiter maintenant qu’ils sont énormes. » En une journée, un criquet pèlerin peut parcourir jusqu’à 150 km.

80 millions : Nombre de criquets adultes dans un essaim d’une taille d’un kilomètre carré. Une telle population dévore en une journée la même quantité de nourriture que 35 000 personnes. Au Kenya, des essaims atteignant 60 km de long et 40 km de large ont été observés dans le nord du pays.

Source : Agence des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation

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Des pulvérisateurs antiparasitaires sont utilisés pour limiter la reproduction des criquets pèlerins, en Somalie.

L’expérience de l’Ouest

Les pays d’Afrique de l’Ouest ont appris à la dure l’importance de la gestion préventive de la multiplication des criquets pèlerins. Quand ils sont peu nombreux, les criquets posent peu de problèmes. Mais si leur population augmente, ils se rassemblent en grands groupes (grégarisation) qui se déplacent ensemble pour trouver de la nourriture. La prévention vise à empêcher cette grégarisation en ciblant et traitant les lieux de reproduction de l’insecte – d’où l’importance de l’échange d’informations entre les pays voisins. Cyril Piou évoque le cas de la Mauritanie, qui traite chaque année avec succès quelques centaines de kilomètres carrés depuis une douzaine d’années. « Le système préventif fonctionne quand il est bien mis en place », dit Cyril Piou. « Quand les pays s’entraident et que les moyens sont déployés, on peut empêcher la formation de très gros essaims. » Pour l’instant, l’Afrique de l’Ouest n’est pas encore menacée par l’infestation venue de l’autre côté du continent. « Par contre, si rien n’est fait en Afrique de l’Est, la situation risque d’empirer à l’Ouest. »

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Au Kenya, de petits avions survolent à basse altitude les zones touchées pour pulvériser des pesticides.

Des millions pour les criquets

En janvier, l’Agence des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO) avait estimé avoir besoin de 76 millions de dollars pour lutter contre les criquets – jusqu’ici, l’organisation n’a réussi qu’à amasser 20 millions de dollars. Cet argent doit notamment servir, souligne Cyril Piou, à dépêcher sur le terrain des spécialistes dans les pays qui ne disposent pas de cette expertise. « Je connais l’un de ces experts qui travaille habituellement au Mali et qui a été envoyé en Ouganda cette semaine », illustre M. Piou. « C’est une entraide internationale, coordonnée par la FAO, et qui a besoin de moyens pour coordonner tout ça. » Les conséquences économiques d’un laisser-aller peuvent être désastreuses, rappelle le spécialiste. « En Afrique de l’Ouest, en 2003-2005, le premier appel à l’aide était de 40 millions de dollars pour gérer une situation déjà problématique. Mais comme ça a pris trop de temps à se mettre en place, à la fin, ça a coûté 400 millions de dollars. »