Comment faire cesser les violences sexuelles en République démocratique du Congo? Dans un pays où le viol est une arme de guerre, où les juges marchandent leur clémence, le problème n'est pas simple. La Presse s'est entretenue avec la militante congolaise des droits des femmes Julienne Lusenge, qui était de passage à Montréal, hier.

Julienne Lusenge n'a jamais supporté l'injustice. «Dans ma famille, au lycée, même au travail, j'étais toujours là pour défendre les autres», se souvient-elle. Pas étonnant, donc, qu'elle soit aujourd'hui devenue un visage connu de la lutte des femmes congolaises, victimes de la violence qui ravage le pays.

La violence, la guerre, Julienne Lusenge connaît. Par trois fois, elle a dû la fuir. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle elle vit aujourd'hui dans la capitale, Kinshasa. «Je sais ce que c'est que de transporter ses choses sur la tête en courant pendant que les balles crépitent, dit-elle. Je connais la souffrance d'être déplacée. Je connais la souffrance de voir un ami tué.»

Après avoir été à la barre d'une émission destinée aux femmes sur les ondes d'une radio communautaire de Bunia, dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC), elle a fondé en 2000, avec des collègues, l'organisme Solidarité des femmes pour la paix et le développement intégral.

Les interminables conflits armés qui secouent encore aujourd'hui l'est de la RDC faisaient rage depuis quelques années déjà, et le viol devenait une arme de guerre de prédilection. «L'histoire du Congo, depuis 1996, c'est toujours les violences sexuelles.»

Après Droits et Démocratie

La militante de 56 ans, qui est aussi à la tête du Fonds pour les femmes congolaises, était de passage à Montréal, hier, pour «dire qu'il faut arrêter les viols» et expliquer son action afin d'inciter le Canada, comme le reste de la communauté internationale, à faire plus.

«Bien sûr, on va nous dire que le Canada a donné 15 ou 18 millions pour les violences sexuelles, s'exclame-t-elle. Oui, mais ça va aux agences des Nations unies. Nous voulons que les fondations qui croient au travail des acteurs locaux puissent nous aider, parce que nous avons des résultats.»

La fermeture en 2012 de l'organisme canadien Droits et Démocratie par le gouvernement Harper a d'ailleurs été un coup dur pour son organisation. «C'est Droits et Démocratie qui nous a formées, nous, en tant qu'association de femmes, pour accompagner les autres femmes en justice. Nous n'avons jamais trouvé un autre partenaire pour continuer.»

Justice, paix et politique

«Il est capital que la justice fonctionne», explique Julienne Lusenge, qui déplore «les jugements de complaisance». Il y a bien eu 647 procès pour viol en 2014 dans les provinces du Nord-Kivu et de l'Ituri, mais nombreux sont les coupables qui s'en sont tirés avec des peines mineures en payant le juge, affirme-t-elle.

Soigner les victimes et juger ceux qui commettent des violences sexuelles est certes nécessaire, mais ces actions ne règlent pas le problème. La véritable solution est aussi simple que titanesque: ramener la paix. Et pour y arriver, Julienne Lusenge martèle qu'il faut donner à l'armée congolaise les moyens de ses ambitions.

La politique

L'amélioration de la condition des femmes en RDC passe aussi par leur plus grande présence en politique, croit Julienne Lusenge. «Tant que nous serons écartées de la gestion du pays, nous n'arriverons pas à faire part de nos besoins à la table de discussion et donc nous serons toujours écartées.»

Son organisation a d'ailleurs formé 110 femmes dans 11 provinces congolaises en vue des élections qui doivent avoir lieu l'an prochain, et dont l'éventuel report est à l'origine des troubles qui secouent la capitale congolaise ces jours-ci. «Nous espérons que ça va avoir lieu, dit-elle, n'en déplaise à ceux qui cherchent à s'éterniser au pouvoir.»