C'est à Khartoum qu'Armina Yakub est née et a élevé ses enfants. Pourtant, elle a décidé de partir: dès le fin des examens scolaires, tous prendront la route du Sud-Soudan, la terre de leurs ancêtres où ils sont des milliers à affluer.

«Je vais au Sud. Toute ma famille est déjà partie», raconte à l'AFP cette mère de 32 ans, rencontrée en train de faire son marché à Mayo, une banlieue de la capitale nordiste.

Inquiète à l'approche de l'indépendance du Sud-Soudan, qui doit être proclamée samedi, Armina Yakub va rejoindre les quelque 360 000 Sudistes qui ont regagné depuis octobre le futur État africain, selon des chiffres du Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).

Si beaucoup ont choisi de partir pour participer à la naissance de leur pays, nombre de Sudistes, comme la jeune mère de famille, ont décidé de gagner le Sud par crainte de l'attitude des autorités de Khartoum à leur égard au lendemain de la sécession. Ils sont certes encore plus d'un million à vivre au Nord, mais l'exode s'est accéléré ces dernières semaines.

«Il y a eu plusieurs messages malheureux, dont certains vraiment désagréables, lancés au Nord», note Peter de Clercq, chef de la mission du HCR au Soudan.

«Il y a eu également des messages d'apaisement, mais malheureusement les gens s'arrêtent aux mauvais. Ils veulent des assurances concrètes, ce que personne ne leur fournit», ajoute-t-il.

Parmi ces signaux perçus comme une menace, le ministère du Travail a adressé à tous les fonctionnaires originaires du Sud une note annonçant la fin de leur emploi le 8 juillet.

Khartoum a également exclu la reconnaissance de la double citoyenneté, ce qui, au terme de la période de transition de neuf mois, se traduira pour les personnes originaires du Sud par la déchéance de leur nationalité soudanaise.

Le départ des Sudistes est particulièrement notable à Mayo, dans la banlieue sud de Khartoum. À l'origine, Mayo était un camp pour les déplacés de la guerre civile entre le Nord et le Sud, avant que ceux-ci ne s'installent de manière permanente.

Un marchand affirme que ses affaires ont fondu de 90%.

Des locaux se réjouissent toutefois du sort de leurs amis et voisins sudistes.

«Je suis heureux de l'indépendance du Sud, car c'était le choix des Sudistes», dit Yussif Harun, 47 ans. «Je me moque que l'on perde le Sud», ajoute-t-il, avant de confier: «Mais je pense qu'un jour le pays va se réunifier».

«Je suis très content de la séparation», déclare Morris, 34 ans, arrivé au Nord en 1989, lorsque la guerre civile était à son apogée. En 22 ans de conflit, deux millions de personnes sont mortes.

Chauffeur de pousse-pousse, Morris explique que toute sa famille est déjà partie et qu'il «attend juste de ramasser de l'argent» avant de partir à son tour.

L'euphorie de l'indépendance n'est toutefois pas partagée par tous les habitants de Mayo.

La séparation est ainsi un déchirement pour Nariman John. Née d'une mère originaire des Monts Nuba (centre) et d'un père Sudiste, cette vendeuse de thé a vécu toute sa vie à Khartoum, où elle a épousé un Nordiste.

«Je suis triste que le Sud se sépare. Les Nordistes sont mon peuple, mais je souhaite que le Soudan reste uni», confie cette mère de trois enfants.

«Mes cinq frères vont aussi rester au Nord. La séparation nous rend tous tristes, poursuit-elle. On va perdre une partie de nous-mêmes.»