Si on dit Afrique du Sud et musique, bien des gens pensent immédiatement à Johnny Clegg, le zoulou blanc, grand ambassadeur de ce pays et militant anti-apartheid.

Mais le milieu musical (et artistique en général) sud-africain est riche et la relève est prête pour la suite.

Parmi cette relève, il y a des artistes engagés, comme Clegg et ses contemporains, dont l'oeuvre est imprégnée de l'histoire déchirante de ce pays.

 

L'engagement est le même, c'est le combat qui diffère. Il ne s'agit plus de libérer un peuple enchaîné, mais bien de savoir ce que l'on fait avec cette liberté. À quoi et à qui sert cette liberté?

Parmi eux, le rapper Tumi Molekane (Tumi, pour ses fans, est aussi classé hip-hop, en France notamment), un gros bonhomme sympathique et bourré de talent, salué d'ailleurs dans l'Hexagone et par le magazine Rolling Stone qui le considère comme un des chanteurs à surveiller. Il était l'un des artistes invités avec Shakira lors du spectacle d'ouverture du Mondial. (Quelques-unes de ses vidéos sont disponibles sur YouTube, on trouve aussi du matériel sous Tumi and the Volume, son ancien groupe.)

Né en Tanzanie, sa mère était en exil durant l'apartheid, il se décrit lui-même comme un «rapper engagé». Impossible, dit-il, de ne pas l'être, de ne pas être influencé par l'histoire et la politique.

«Parfois, ça nous dessert, parce que l'on n'est pas capable de se détacher et tout le monde s'attend à ce que l'on soit engagé, nécessairement», dit-il.

Rencontré dans un bar au coeur de Johannesburg quelques heures, tout juste de retour d'une tournée en Europe, et avant un spectacle, il a longuement parlé de sa démarche, mais surtout de son pays.

«Je suis déchiré, vraiment déchiré. Je suis un produit du mouvement (de libération), mais quand je vois tous ces gens qui souffrent, qui n'ont rien à manger, qui n'ont pas de maison... Je ne sais pas... Peut-être que certains politiciens ici ont fait leur temps.»

Parlant des politiciens, justement, il exprime ce que bien de ses compatriotes pensent du président Jacob Zuma. «Zuma, je l'aime, il a participé à la lutte, c'est un des libérateurs, mais je n'aime pas sa façon de vivre. Et puis, il a fait des promesses irréalistes, comme celle de créer un million d'emplois alors que nous perdons des emplois.»

Pour Tumi, le plus important, à l'heure actuelle, c'est que le peuple puisse garder son «droit d'être en désaccord». «Si je vote pour l'ANC, j'ai aussi le droit d'être en désaccord et de le dire.»

Ce dont il ne se gêne pas. «J'adore l'ambiance de la Coupe du monde, c'est comme 1994, lorsque nous étions tous unis. Mais tout cet argent pour cet événement, quand des gens crèvent de faim, est-ce que ça vaut le coup? Non...»

Avec humour un trait commun chez les Sud-Africains -, il décrit ainsi sa démarche: «Je ne suis ni prêtre ni politicien, ce qui veut dire que, moralement, je suis sous les prêtres mais pas aussi bas que les politiciens! Comme MC, je suis au bon endroit pour passer mes messages.»

Au coeur de ces messages: la musique (l'art en général) doit être porteuse de changement. Dans une de ses chansons, Hubby, sur l'album Whole Worlds, il dit d'ailleurs: «Nous n'utilisons pas le pouvoir des arts sur la population, nous devons le faire. Certaines personnes pensent que les politiciens sont plus puissants que les chanteurs, quel étrange mensonge!»

Tumi s'est déjà produit à Montréal, au Festival de jazz en 2006, et il laisse entendre, en toute fin d'entrevue, qu'il pourrait revenir sous peu. Un jeune homme à suivre.