La chanteuse et ambassadrice d'UNICEF Québec Stéphanie Lapointe et le cinéaste Dominique Laurence rêvaient de produire un documentaire sur le Darfour. L'objectif: réaliser avec des enfants de camps de déplacés un projet utilisant l'art comme outil social.Au printemps dernier, ils se sont envolés vers le Soudan, où un conflit oppose depuis 2003 le gouvernement et différents mouvements rebelles. Khartoum est accusé de soutenir les miliciens arabes janjawids, responsables d'atrocités contre les populations noires locales, qui ont fait à ce jour 300 000 morts et 2,7 millions de déplacés selon l'ONU. Pendant un mois, ils ont vécu dans les camps de personnes déplacées.

En descendant de l'avion qui fait quotidiennement le trajet entre Francfort et Khartoum, la chaleur assomme dès la première respiration. On croirait avoir ouvert la porte d'un four géant. La température sera encore plus élevée -jusqu'à 50 degrés Celsius- quand nous serons au Darfour, la région se trouvant au coeur du désert du Sahel.

Durant les 28 jours de notre périple, nous visiterons des camps de déplacés aux abords des villes d'El Fasher, d'El Geneina et de Nyala, les trois capitales de la province du Darfour.

Le 14 avril, nous arrivons à El Fasher. Nous faisons rapidement connaissance avec les travailleurs humanitaires qui habitent au même endroit que nous. La petite maison, protégée par une enceinte de six mètres de haut coiffée de barbelés, n'a rien des villas de luxe qu'on associe parfois aux expatriés ou aux coopérants en poste à l'étranger. Au Darfour, peu importe vos moyens, le luxe n'existe pas.

Nous montons à bord de deux 4x4 de l'UNICEF pour nous rendre au camp de Dar El Salaam, situé à quelques kilomètres de la capitale, El Fasher. Nous devons traverser un point frontalier dirigé par des soldats soudanais, avant d'entrer dans le camp de 55 000 habitants.

Les gens que l'on croise sur notre chemin sont affairés à des tâches bien précises. Seuls les enfants sont excités par notre présence. Ils arrivent de partout, attrapant de leurs petits doigts nos mains et criant «O.K .! O.K.!» Ils adorent la caméra.

Une lutte quotidienne

Sur place, nous faisons connaissance avec Sumaya. La jeune femme, dans la vingtaine, étudie les mathématiques à l'Université d'El Fasher. Elle est l'aînée d'une famille de six enfants. Assise par terre, elle nous parle de ses aspirations, de son quotidien. Quatre fois par semaine, depuis son arrivée au camp d'Abu Shouk, elle se rend à l'université à pied, à l'instar d'une quarantaine d'autres déplacés. Sumaya est grande, posée. Sa lutte: l'éducation. Avant la tombée de la nuit, elle donne, sous une case aménagée en salle de classe, des leçons aux femmes illettrées.

Le père de Sumaya, Yussef, âgé d'une cinquantaine d'années, accepte de nous conduire à la briqueterie où il se rend parfois travailler.

Le chantier est situé aux abords du camp. L'endroit est surréaliste. Une dizaine de fours gigantesques surplombent le paysage. Ici, on fabrique les briques suivant une technique plusieurs fois millénaire. Les Égyptiens travaillaient ainsi!

L'arrivée au Darfour de près de 10 000 soldats de la Mission conjointe des Nations unies et de l'Union africaine au Darfour (MINUAD) et d'expatriés a créé une hausse massive de la demande en ce qui a trait à la construction de bâtiments. Et cela cause un problème : l'eau utilisée pour la briqueterie affecte grandement la nappe phréatique des camps.

C'est un travail physique incroyable. À notre arrivée, une quarantaine de déplacés, hommes, femmes et enfants, s'activent sur le chantier. Le soleil brûle. Il n'y a pas d'ombre. Il vente très fort, mais nous tenons à grimper sur un des fours afin de filmer de près le travail des briquetiers. Les corps à la fois frêles et musclés des hommes nous frappent. Tous s'activent en silence. Nous sommes bien loin de l'image de gens passifs et en attente d'aide que l'on véhicule parfois dans les médias.

Sumaya et son père font partie de ces milliers de personnes qui, ne se résignant pas à leur situation de déplacés, luttent quotidiennement pour pouvoir changer les choses.

Les camps sont construits en damier, les rues sont numérotées au tournant des chemins. Mais aux yeux de l'étranger, le camp a des allures de labyrinthe. Dans les différentes sections, des petits chemins sablonneux séparent les habitations. Comme des quartiers, les sections diffèrent les unes des autres. Il y en a des «plus riches» et des «plus pauvres». Les déplacés qui habitent le camp depuis plus longtemps ont consolidé leur maison, bien souvent avec de la brique ou de la terre durcie. Les derniers arrivés se contentent d'une courtepointe de toiles éparses, à l'effigie des différentes agences et ONG.

Au camp de Dar El Salaam, ce jour-là, le monde semble divisé en deux par une mince pellicule transparente ; une frontière invisible se dresse entre les gens du Nord et ceux du Sud.

Une menace pour les villes

El Geneina, seconde étape de notre parcours. Ville otage du conflit, la capitale de l'ouest, située à quelques kilomètres de la frontière avec le Tchad, a des allures de far west. L'urbanisme légué par les Britanniques et les premiers gouvernements du Soudan est délabré. Les bâtiments en brique, à moitié démolis ou à demi construits, sont séparés par de larges rues ensablées où les 4x4 des ONG et les camions des forces policières soulèvent des nuages de poussière. En 2003, on comptait seulement cinq ou six voitures à El Geneina, toutes appartenant à des travailleurs des ONG. Aujourd'hui, on n'arrive plus à les compter tellement elles sont nombreuses.

La ville doit une partie de son développement à la présence des camps et des organisations humanitaires.

Depuis le début du conflit, près d'une dizaine de camps se sont mis en place en périphérie d'El Geneina. Le camp de Riyadh, que nous visitons, compte 20 000 habitants recensés officiellement. Mais il en compterait moins en réalité: certaines huttes de branchages seraient construites par des déplacés installés en ville ayant besoin d'un abri symbolique pour percevoir les rations du Programme alimentaire mondial.

Les ressources étant limitées par la sécheresse et le climat aride du désert du Sahel, les relations entre les habitants des villes et les déplacés sont souvent problématiques. N'ayant pas à payer pour l'eau et les denrées de base, contrairement aux habitants de la ville, plusieurs déplacés acceptent de travailler au rabais en ville, exerçant une pression sur l'emploi et les salaires.