Quatre-vingts ans plus tard, il reste encore de nombreux artefacts du jour J sur les plages normandes. Certains, comme Paul Cherrier, se sont fait une mission de les récupérer.

(Luc-sur-Mer, Normandie) « Ici c’est un bout de radio. Là un capuchon de grenade. Et ça, c’est un éclat d’obus… »

Paul Cherrier sort méticuleusement les objets d’une boîte en bois, qui en contient des dizaines. Il les dépose sur la table, puis va en chercher d’autres dans une pièce à l’écart. Tessons de bouteilles, fragments de cruches à whisky, d’assiettes, boucles de ceintures, brosse, flacon de Brylcreem, débris divers… le déballage n’en finit plus.

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Capuchon de grenade, fragment de jarre à whisky, morceau de radio. Collection Paul Cherrier.

« J’ai dû en ramasser des milliers, souligne le jeune homme, fier de sa collection. Je me suis séparé d’une partie, mais quand j’étais enfant, il y en avait partout ! »

Paul Cherrier, 35 ans, habite Luc-sur-Mer, à quelques mètres de la plage conquise par les soldats britanniques le 6 juin 1944. Depuis qu’il est tout petit, il s’amuse à collectionner les vestiges du Débarquement, trouvés au hasard de ses promenades. Une véritable passion, qui ne l’a jamais quitté, même s’il admet avoir aujourd’hui un peu ralenti la cadence.

On peut s’étonner que des objets du jour J fassent encore surface, 80 ans après les faits. Mais cela tombe sous le sens, considérant l’ampleur du déploiement militaire qui a eu lieu le 6 juin 1944 et les jours suivants. Aujourd’hui, il suffit d’aller se balader sur les plages, après une grosse tempête, quand les bancs de sable se sont déplacés, pour espérer trouver des trésors liés à cet évènement historique.

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La boîte aux trésors de M. Cherrier.

Le promeneur lambda n’y verrait probablement que des débris ordinaires rejetés par la mer. Mais avec le temps, et au fil de ses nombreuses recherches, Paul Cherrier a développé une expertise d’archéologue amateur qui lui permet de reconnaître sur-le-champ ce qui est lié à l’opération Overlord. Il donne l’exemple de ces petits bâtonnets de poudre, qui ressemblent à s’y méprendre à de vieux spaghettis secs. « Maintenant, je les repère tout de suite », dit-il.

La plupart de ces objets n’ont pas vraiment de valeur marchande, ajoute le collectionneur. « Les autorités, ça ne les intéresse pas forcément. » Mais certains ont, à ses yeux, une plus grande signification que d’autres. C’est le cas de cet éclat d’obus qu’il brandit fièrement sous nos yeux, de ce fragment de bombe en acier très épais qu’il nous fait soupeser, mais surtout de ce casque anglais tout rouillé et incrusté de coquillages, qu’il a fini par prêter au musée d’Arromanches, spécifiquement consacré à l’invasion britannique.

« Il était là, par terre, posé dans les cailloux, raconte celui qui travaille aujourd’hui dans une maison d’édition spécialisée en livres d’histoire. Quand on voit ça, et qu’on se dit qu’il y avait un homme derrière, que cet homme a peut-être été tué, ça fait quelque chose. C’est l’objet le plus émouvant que j’ai trouvé. »

Gare aux obus !

En principe, rien n’interdit de ramasser sur la plage des objets liés au débarquement de Normandie. Paul Cherrier n’est d’ailleurs pas le seul à en avoir fait un passe-temps. Ils sont en effet quelques-uns à ratisser la plage, parfois avec des détecteurs de métal, à la recherche de perles rares.

La plupart choisissent de conserver leurs trésors, ou de les revendre, parfois à prix fort. Un casque américain, trouvé sur la plage d’Omaha Beach, était ainsi offert cette semaine sur eBay à plus de 1000 $ CAN.

D’autres, comme Paul Cherrier, préfèrent offrir le fruit de leur pêche miraculeuse à des musées, qui en feront un usage pédagogique. Le Centre Juno Beach à Courseulles-sur-Mer, seul établissement qui rende hommage aux troupes canadiennes du jour J, en a carrément fait le sujet d’une de ses vitrines. Une trentaine d’objets y sont exposés, dont une bottine et un fusil entouré de gangue.

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Nathalie Worthington, directrice du centre Juno Beach, devant la vitrine consacrée aux objets trouvés par des gens « ordinaires ».

Ce sont des objets qui marquent le territoire. On nous apporte aussi des fourchettes, des tubes de dentifrice et même des roues d’avions. Ces objets nous intéressent pour leur dimension humaine… La seule chose qu’on ne prend pas, ce sont les munitions. Parce qu’on est obligés de fermer le musée et d’appeler le déminage !

Nathalie Worthington, directrice du Centre Juno Beach

Rappelons que le sol normand recèle encore de nombreux engins explosifs potentiellement actifs, tels que des balles, des obus ou des mines. Pour des raisons évidentes, ces vestiges de la bataille de Normandie sont les seuls que les « ramasseux » n’ont pas le droit d’emporter. Paul Cherrier avoue qu’il lui est arrivé de prendre des risques, ce qu’il ne ferait plus aujourd’hui. « J’étais un gamin, j’étais inconscient. »

La meilleure chose à faire, précise-t-il, est d’identifier l’emplacement de l’objet « sensible », puis de contacter la gendarmerie. Il souligne cependant que les dangers d’explosion sont relativement faibles, les rares accidents étant survenus lorsque l’on tentait de désamorcer ou nettoyer soi-même ledit engin.

850 kg d’explosifs

Il faudra probablement des années avant de venir à bout de ces vestiges menaçants. Selon les médias locaux, les services de déminage de Normandie reçoivent, bon an mal an, un millier d’engins explosifs de la Seconde Guerre mondiale. Fin mai encore, huit obus ont dû être « neutralisés » dans la région, c’est-à-dire « explosés » en lieu sûr.

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Fragment de bombe de la collection de Paul Cherrier

En 2021, les travaux de raccordement du parc éolien en mer du Calvados ont, pour leur part, donné lieu à de troublantes découvertes.

La phase d’étude sur le terrain, effectuée sur une longueur de 39 kilomètres (dont 15 kilomètres en mer) et une largeur de 500 mètres, a permis de repérer 500 objets métalliques suspects. Du lot, on a identifié quelque 77 engins explosifs non explosés.

« Le plus gros pesait une tonne et faisait deux mètres de haut, confie Jacques Frémaux, directeur du raccordement du parc éolien en mer du Calvados. Il s’agissait d’une bombe mine allemande, le BM 1000, contenant 850 kilos d’explosifs. C’est la charge la plus importante qu’on a trouvée sur notre tracé. »

Ce chantier aura, du reste, permis à Jacques Frémaux et son équipe de faire une étonnante trouvaille. Parmi les 500 objets métalliques repérés se trouvait aussi un lingot de plomb vieux de 2000 ans, datant de l’époque romaine. Il était estampillé du nom de l’empereur Hadrien (76-138 de notre ère) et se trouve désormais au musée de Normandie.

Les sites du Débarquement abritent décidément de nombreux trésors…