Le Sénat français doit se prononcer ce jeudi sur la ratification de l’accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne, en application « provisoire » depuis 2017. Le texte, controversé, rencontre encore beaucoup de résistance. Charlotte Emlinger, économiste spécialiste du commerce agricole au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII), explique pourquoi.

Qu’est-ce qu’est exactement l’Accord économique et commercial global, mieux connu sous son sigle anglais CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement) ?

Le CETA est un accord commercial qui a été signé entre l’Union européenne (UE) et le Canada en 2016 et mis en application provisoire en 2017. Comme tout accord de libre-échange, il vise à favoriser le commerce entre pays partenaires. Il est un peu spécial par rapport à d’autres accords au sens où il va au-delà des accords classiques qui se réduisent aux droits de douane.

C’est-à-dire ?

R. Cet accord parle aussi de protection de la propriété intellectuelle, de produits à indication géographique, de reconnaissance des qualifications professionnelles, d’ouverture des marchés publics. Par exemple, on peut imaginer que des entreprises françaises qui s’occupent d’eau pourraient répondre à des appels d’offres d’une municipalité canadienne, par exemple.

C’est un accord qui concerne l’Union européenne. Pourquoi le Sénat français doit-il se prononcer ?

Quand il ne s’agit que du commerce, c’est-à-dire de réduire les barrières tarifaires, on ne demande pas l’avis des parlementaires nationaux. Mais comme le CETA touche certaines prérogatives nationales, les assemblées des différents pays doivent se prononcer. L’Assemblée nationale avait déjà voté pour en 2019. Il restait le Sénat.

Les élus communistes, qui ont mis ce débat à l’ordre du jour, promettent un « coup de tonnerre », et rien n’exclut que le texte soit rejeté. En 2019, lorsque l’Assemblée nationale avait débattu, il y avait déjà eu beaucoup de critiques. Pourquoi cette résistance ?

Il y a premièrement une opposition de certains partis traditionnellement opposés par principe aux accords commerciaux, au libre-échange, au libéralisme. Le deuxième point concerne la question agricole où il y avait une crainte, en particulier du secteur de l’élevage, d’une concurrence déloyale des produits canadiens, qui sont effectivement plus compétitifs, en particulier le bœuf.

Craintes justifiées ?

Ce qu’on voit depuis sept ans, c’est que ces craintes sont infondées, dans la mesure où il n’y a pas eu de grosse augmentation des importations de bœuf canadien en Europe. D’abord, l’accord avait mis un quota sur les importations de bœuf. Et quand on regarde, il n’y a que 3 % de cette quantité autorisée qui est exportée. Pourquoi ? Parce qu’il y a des normes à l’entrée du bœuf européen, en particulier l’interdiction du bœuf aux hormones. Et jusqu’à présent, les producteurs canadiens n’ont pas trouvé bon de développer cette filière pour exporter vers l’UE.

Il y a eu des avantages pour l’agriculture française ?

Oui, en particulier les fromages, les vins et spiritueux, qui sont gagnants. Ainsi que la question de la protection des produits à indication géographique. Tout ce qui est Comté, Roquefort se retrouve protégé de la concurrence, c’est-à-dire que les produits canadiens n’ont plus le droit d’utiliser ces noms-là.

Pourquoi alors cette critique persistante ?

Les oppositions actuelles ne se basent pas sur des chiffres ni sur des analyses. Ce sont plutôt des oppositions de principe, dans un contexte où les agriculteurs français se plaignent de la concurrence déloyale et où l’UE est en train de négocier le MERCOSUR [accord de libre-échange avec le Brésil, l’Argentine, le Paraguay, l’Uruguay]. Dans ce cas de figure, peut-être qu’effectivement, l’impact sera différent, parce que ces pays sont concurrentiels et beaucoup plus gros que le Canada. Le CETA est utilisé comme prétexte pour mettre cela au centre du débat.

Outre la France, 9 pays sur 27 dans l’Union européenne n’ont toujours pas officiellement ratifié l’accord (Belgique, Italie, Pologne, Irlande, Bulgarie, Chypre, Slovénie, Grèce, Hongrie) même si celui-ci est déjà appliqué. Que se passe-t-il si l’on n’obtient pas l’unanimité ? Le CETA tomberait ?

Si l’accord est rejeté au Sénat, il devra être renvoyé à l’Assemblée pour un nouveau vote. Mais ça m’étonnerait qu’on revienne en arrière, dans le sens où la diversification des sources d’approvisionnement est de plus en plus essentielle. Le CETA a été négocié en 2016, quand la situation mondiale était différente. Aujourd’hui, l’Union européenne veut être moins dépendante de certains pays, en particulier la Chine. Or, le Canada est un producteur important de minéraux critiques dont l’UE a besoin. Des accords comme le CETA permettent de faire des partenariats privilégiés dans un monde géopolitiquement tendu.

Grogne écologiste

Tout positif, le CETA ? Ce n’est pas l’avis de tous. Dans un rapport-bilan publié en janvier, l’ONG écologiste Veblen estime que l’accord entre l’UE et le Canada a été « clairement négatif » pour l’environnement, car il a eu pour effet de « booster » les échanges dans des secteurs « intensifs en émissions de gaz à effet de serre » comme les combustibles fossiles, les engrais, les produits plastiques, les véhicules, les produits chimiques, le fer, l’acier, l’aluminium et le nickel, les transports et le tourisme. Selon Mathilde Dupré, codirectrice de l’Institut Veblen, « plusieurs modifications indispensables auraient dû être apportées au CETA pour le rendre climato-compatible… »

Sources : Le Monde, Public Sénat, Alternatives économiques, La tribune

En savoir plus
  • 51 %
    Augmentation des échanges bilatéraux entre l’UE et le Canada entre 2017 et 2023
    Direction générale du Trésor de France, 7 mars
    34 %
    Augmentation du commerce de biens entre la France et le Canada entre 2017 et 2023
    Direction générale du Trésor de France, 7 mars
  • 51 %
    Augmentation des exportations européennes au Canada entre 2017 et 2023
    Direction générale du Trésor de France, 7 mars
    52 %
    Augmentation des importations canadiennes en Europe entre 2017 et 2023
    Direction générale du Trésor de France, 7 mars