Les élections législatives anticipées prévues dimanche en Espagne pourraient permettre à un parti d’extrême droite d’obtenir la balance du pouvoir et d’imposer la ligne dure sur plusieurs dossiers délicats au prochain gouvernement qui sortira des urnes.

Selon les plus récents sondages, les dirigeants conservateurs du Parti populaire (PP), la principale formation de droite, devancent les socialistes, mais pourraient se voir contraints d’intégrer les députés de Vox (extrême droite) pour obtenir une majorité de sièges.

Le premier ministre sortant, le socialiste Pedro Sánchez, qui s’est décidé à convoquer des élections après avoir subi une défaite importante aux scrutins régionaux en mai, multiplie à l’approche du vote les mises en garde quant à l’impact qu’aurait une telle coalition sur les orientations du pays.

PHOTO EMILIO MORENATTI, ASSOCIATED PRESS

Pedro Sánchez, premier ministre de l’Espagne sortant

Bien qu’il se montre évasif quant à la possibilité de former une coalition avec Vox, la volonté du dirigeant du PP, Alberto Núñez Feijóo, d’aller de l’avant au besoin fait peu de doute, aux yeux de plusieurs analystes.

« Il n’aurait aucune réserve à procéder en ce sens », relève Sebastiaan Faber, professeur d’études hispaniques de l’Oberlin College, en Ohio, qui suit de près le scrutin.

L’analyste en veut pour preuve le fait que le PP n’a pas hésité à nouer des alliances avec Vox après les récentes élections pour gouverner une demi-douzaine de régions du pays et de nombreuses villes.

Cesáreo Rodríguez Aguilera de Prat, professeur de politique de l’Université de Barcelone, pense que le scénario d’une coalition PP-Vox reste le plus probable pour l’heure.

Le Parti socialiste (PSOE), dit-il, a mis de l’avant durant son mandat des politiques économiques et sociales « très raisonnables », notamment en faisant augmenter le salaire minimum, en introduisant des mesures pour protéger l’accès au logement ou encore en facilitant l’accès à l’euthanasie. Mais il n’a pas réussi pour autant à lutter efficacement « contre l’offensive constante » de la droite pour « délégitimer » Pedro Sánchez.

Le politicien s’est fait reprocher à de nombreuses reprises par ses adversaires d’avoir utilisé l’appui de partis indépendantistes catalan et basque pour faire passer des projets de loi.

Ses opposants, notamment au sein du PP, sont allés jusqu’à l’accuser de s’associer avec des « terroristes » pour affaiblir la nation, même si le recours à la violence par des militants basques est chose du passé.

M. Faber note que des accusations de ce type sont monnaie courante dans les rangs de la droite espagnole, mais qu’elles ont été « boostées aux stéroïdes » dans le cadre de la présente campagne.

Porté par le nationalisme

Joan Ramon Resina, qui enseigne à l’Université de Stanford, estime que Vox a profité de la montée du nationalisme espagnol suscitée par les tensions avec la Catalogne et ne manque pas une occasion d’évoquer sa volonté de recentraliser les pouvoirs.

S’ils arrivent au gouvernement à l’échelle nationale, il faut s’attendre à des attaques beaucoup plus musclées contre les institutions catalanes.

Joan Ramon Resina, de l’Université de Stanford

Le parti d’extrême droite ne s’arrête pas là et n’hésite pas à attaquer le PSOE sur des enjeux culturels en mettant de l’avant un discours « extrêmement conservateur » sur des questions comme l’avortement et l’euthanasie ainsi que le traitement des minorités sexuelles, relève M. Rodríguez Aguilera de Prat.

L’immigration est un autre thème récurrent, même si les Espagnols se montrent moins sensibles sur cette question que plusieurs pays méditerranéens comme la Grèce et l’Italie.

Le dirigeant de Vox, Santiago Abascal, n’hésite pas pour autant à user des stéréotypes xénophobes habituels de l’extrême droite pour alimenter les peurs de la population, note M. Faber, qui n’écarte pas la possibilité d’une remontée tardive du camp socialiste et de partis d’extrême gauche alliés.

Formation « néofasciste »

La perspective d’une percée déterminante de Vox suscite des inquiétudes bien au-delà des frontières de l’Espagne alors que le pays vient de prendre la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne.

L’ex-premier ministre britannique Gordon Brown, dans une récente lettre ouverte, note que la présence de la formation « néofasciste » à la tête de l’État espagnol marquerait la fin d’un tabou qui remonte à la mort du dictateur Francisco Franco, il y a un demi-siècle, et se ferait ressentir « partout sur le continent ».

Elle aurait notamment pour effet, dit-il, d’énergiser les formations radicales qui progressent en Allemagne, en Autriche et en Finlande et de renforcer le gouvernement italien de Giorgia Meloni, arrivée au pouvoir à la tête d’un parti d’extrême droite.

M. Faber note que Vox ne revendique pas son lien avec le franquisme, même si certaines de ses politiques s’inscrivent en droite ligne avec celles du Caudillo, notamment en ce qui a trait à la défense de la nation et de la famille traditionnelle.

« La droite espagnole a réussi à contrôler les thèmes de la campagne politique. Les guerres culturelles ont pris le dessus sur l’appréciation des résultats économiques et sociaux », relève l’analyste, qui dresse un parallèle avec l’évolution de la politique américaine.