Le nombre de pays offrant des conditions de pratique optimales aux journalistes ne cesse de reculer, selon le plus récent classement mondial sur la liberté de la presse de Reporters sans frontières (RSF).

CE QU’IL FAUT SAVOIR

Le classement annuel de la liberté de la presse produit par Reporters sans frontières indique que les conditions de pratique journalistique sont optimales dans un nombre très restreint de pays.

Les représentants des médias sont confrontés à des manifestations d’agressivité de plus en plus fréquentes sur les réseaux sociaux, mais aussi dans le monde physique.

L’Inde et la Turquie ont reculé de façon marquée dans le classement pour 2023, alors que le Brésil a fortement progressé.

Les États-Unis, qui ont fortement reculé dans le classement au cours des dernières années, perdent encore trois rangs.

En 2023, la situation est considérée comme « bonne » dans seulement 8 des 180 États évalués par l’organisation, soit 4,4 % du total, comparativement à 17 en 2018 et à 26 en 2013. Elle est « plutôt bonne » dans 44 autres.

En 10 ans, le nombre de pays où la situation était considérée comme « très grave » a parallèlement augmenté, passant de 20 à 31 cette année, soit 17,2 % du total.

En considérant aussi ceux où les journalistes font face à une situation « problématique » ou « difficile », RSF relève que les conditions de pratique sont mauvaises dans les deux tiers des pays figurant dans le classement, une proportion restée sensiblement inchangée durant la période considérée.

Le secrétaire général de RSF, Christophe Deloire, a indiqué mardi dans une déclaration accompagnant la diffusion du nouveau classement que les fluctuations observées en matière de liberté de la presse étaient en partie le reflet « d’une animosité croissante envers les journalistes sur les réseaux sociaux et dans le monde physique ».

Elles sont aussi, a-t-il souligné, le reflet du poids croissant de la désinformation, qui est générée avec des outils de plus en plus sophistiqués pour brouiller les frontières entre le réel et la fiction.

Ces capacités accrues sont mises à profit pour « fragiliser » ceux qui cherchent à faire du journalisme de qualité, relève RSF, qui s’alarme particulièrement des possibilités offertes par l’intelligence artificielle.

La diffusion de photos fabriquées de l’arrestation de l’ex-président américain Donald Trump, plusieurs jours avant sa réelle comparution devant un juge, a alimenté la confusion en ligne et montré le potentiel perturbateur de ces technologies en pleine évolution.

Le haut du classement en matière de liberté de la presse est encore une fois occupé par des pays d’Europe du Nord, principalement scandinaves, la Norvège figurant en première place pour la septième fois de suite.

Le trio de queue regroupe, de façon aussi prévisible, plusieurs pays asiatiques connus pour leur persécution des journalistes, la Corée du Nord étant suivie de près par la Chine et le Viêtnam, où le régime communiste en place intensifie ses pressions.

PHOTO JAM STA ROSA, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des journalistes au travail dans leur bureau de Manille, aux Philippines

Ils sont précédés de peu dans le classement par l’Iran, qui a intensifié ses efforts de répression envers les médias dans l’espoir d’étouffer un important mouvement de contestation suscité par la mort d’une jeune étudiante, Mahsa Amini.

Plus de 70 journalistes – dont une part importante de femmes – ont été appréhendées par le régime islamique, qui n’hésite pas à leur imposer de lourdes peines d’emprisonnement pour décourager toute couverture des protestations.

Des avancées et des reculs

D’autres pays importants ont chuté dans le classement, dont l’Inde, où le gouvernement du premier ministre Narendra Modi renforce son emprise sur les médias. Le géant asiatique a reculé de 11 rangs pour se retrouver à la 161place du classement.

Le président turc, Recep Tayyip Erdoǧan, qui fait face dans quelques semaines à des élections cruciales, a aussi serré la vis en matière de liberté de la presse, faisant reculer le pays de 16 rangs jusqu’à la 165place.

Le contexte électoral s’est avéré bénéfique, à l’inverse, dans certains pays, comme le Brésil, en hausse de 18 rangs. Le retour au pouvoir de l’ex-président Luiz Inácio Lula da Silva a « ramené le pays à un climat de stabilité institutionnelle », note RSF.

Son prédécesseur, Jair Bolsonaro, multipliait les attaques contre les journalistes en usant notamment de l’appui d’une armée de sympathisants qui agissaient de manière « coordonnée » sur les réseaux sociaux.

Les États-Unis, qui avaient connu un recul important dans le classement de RSF durant la présidence de Donald Trump, ont encore chuté de trois rangs pour se retrouver à la 45place, loin derrière le Canada, au 15rang.

Le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, qui participait mardi à une conférence de presse organisée pour lancer la nouvelle édition du classement, a déclaré que son administration demeurait très attachée à la liberté de la presse et multipliait les mesures d’aide pour la soutenir à l’étranger.

PHOTO ALEXANDER ZEMLIANICHENKO, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Le journaliste américain du Wall Street Journal Evan Gershkovich lors de son procès au palais de justice de Moscou, en Russie

« Nous savons que des journalistes un peu partout à travers la planète sont assiégés », a-t-il souligné après avoir détaillé les efforts du gouvernement pour faire libérer un employé du Wall Street Journal actuellement détenu en Russie.

Le régime du président Vladimir Poutine, qui multiplie les échanges musclés avec Washington relativement à l’invasion de l’Ukraine, a profité de l’opération militaire pour poursuivre le « nettoyage » des médias à l’intérieur de ses propres frontières, selon RSF.

La censure systématique et l’exode forcé des médias indépendants russes puis étrangers « libèrent l’espace pour la diffusion d’une propagande coordonnée par les médias » régis par l’État, qui se retrouve au 164rang sur 180 en matière de liberté de la presse.