Au cours de 2021, la moitié des gouvernements démocratiques ont vécu un déclin sur le plan de la démocratie, indique le quatrième rapport Global State of Democracy de l’Institut international pour la démocratie (IDEA), rendu public mercredi. Restrictions des libertés, mises en doute de la légitimité des résultats électoraux et autres maux expliquent cette situation préoccupante. Explications.

Carrefour critique

Que dit le rapport ? En deux mots : déclin et inquiétude. Dans un contexte mondial soumis à une foule de changements, plusieurs gouvernements démocratiques sont en déclin ou stagnent, s’inquiètent les auteurs. « Même les pays précédemment considérés comme « établis » présentent des vulnérabilités à considérer, lit-on dans le document. Le monde est à un carrefour critique. En regard des tendances actuelles, les démocraties sont soumises à des pressions urgentes pour rester stables. »

Constats généraux

Soumise à des éléments perturbateurs comme des pandémies, les changements climatiques et la guerre en Ukraine, la réalité mondiale change à vue d’œil, poursuit-on. L’IDEA a analysé, selon une foule de critères, 104 démocraties dans le monde. Résultats : 42 démocraties sont considérées comme stables, et 14 en expansion (total : 56), contre 37 démocraties en léger recul et 11 autres en forte contraction (total : 48). Autrement dit, il y a presque trois fois plus de démocraties en recul que de démocraties en expansion.

Plus sévères

Aussi inquiétant, sinon davantage, est le portrait dans 20 % des pays non démocratiques où les mesures répressives sont devenues plus sévères. On nomme par exemple l’Afghanistan, la Biélorussie, le Cambodge, le Nicaragua et les Comores. « Au cours des six dernières années, le nombre de pays migrant vers l’autoritarisme (27) a plus que doublé le nombre de pays se dirigeant vers plus de démocratie (13) », ajoute-t-on. D’ailleurs, en 2021, le monde a perdu deux de ses démocraties, la Tunisie et la Birmanie, concluent les chercheurs.

PHOTO ANIS MILI, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Une Tunisienne confronte les policiers dans la capitale Tunis, en janvier 2021, lors d’un rassemblement visant à protester contre la « répression policière ».

Afrique et Moyen-Orient

« En dépit d’une myriade de défis, l’Afrique demeure résiliente face à l’instabilité », estime le rapport de l’IDEA. Des pays comme la Gambie, le Niger et la Zambie améliorent leur bilan démocratique. Dans d’autres pays, la pression sociale se fait sentir même si les libertés sont restreintes. Le monde doit garder les yeux sur ce continent, marqué par la plus forte croissance de la population tout en étant très exposé aux changements climatiques. Par ailleurs, le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord forment (toujours) le secteur de la planète le plus autoritaire, avec seulement trois démocraties, soit Israël, l’Irak et le Liban. Ces deux derniers pays sont considérés comme « fragiles » avec des « performances faibles et en déclin » de leur système démocratique.

Asie et Pacifique

Dans cette région du monde, la démocratie est en net recul depuis cinq ans, observe-t-on. Seulement 54 % des habitants vivent dans une démocratie, mais… 85 % de ceux-ci se trouvent dans un pays où la démocratie est faible ou en retrait. Les plus importants exemples de recul majeur s’enregistrent en Afghanistan et en Birmanie. Mais on estime que des pays comme l’Inde, l’Indonésie, les Philippines et Taiwan, où le système politique est plus stable, sont à risque. Même l’Australie et le Japon sont soumis à une érosion démocratique.

PHOTO JAMES ROSS, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Les policiers de l’État de Victoria, en Australie, aspergent des manifestants lors d’un rassemblement pour la liberté, à Melbourne, en septembre 2021.

Et les États-Unis ?

Qu’en est-il des États-Unis, pays dont les fondements démocratiques sont ballotés par le « trumpisme », une Cour suprême franchement conservatrice et une forte polarisation des opinions politiques ? La démocratie « rétrograde modérément », conclut-on. Plus loin, on lit que « les menaces à la démocratie ont persisté après la présidence de Donald Trump ». Du même souffle, on estime que l’affirmation du « grand mensonge » sur les résultats de 2020 ayant mené Joe Biden au pouvoir continue à être véhiculée. Le rapport ne glisse que quelques mots sur le Canada.

PHOTO ALEX EDELMAN, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Aux États-Unis, l’affirmation du « grand mensonge » sur les résultats de 2020 ayant mené Joe Biden au pouvoir a culminé avec l’assaut du Capitole de Washington, le 6 janvier 2022.

Pas surprenant

Les sondages d’opinion mondiaux montrent que cette période a coïncidé avec une baisse de la confiance du public dans la valeur de la démocratie elle-même. C’est extrêmement inquiétant pour ceux qui se soucient du sort de la démocratie, mais malheureusement pas surprenant.

Kevin Casas-Zamora, secrétaire-général de l’IDEA

Critères

D’innombrables critères ont été pris en compte dans l’analyse de l’IDEA. Parmi ceux-ci, nommons la liberté d’expression, l’intégrité médiatique, les libertés civiles, la représentativité, l’impartialité, la capacité de vérifier le travail des gouvernements, l’accès à la justice, l’indépendance des tribunaux, l’absence de corruption, etc.

Contrat social

Mais tout n’est pas noir, poursuivent les auteurs. La tendance actuelle peut être renversée, notamment par une modernisation du « contrat social » liant les gouvernements, les citoyens, les médias, les sociétés civiles, etc. Ce contrat social doit être fondé sur une meilleure équité et tenir compte de nouveaux besoins issus des changements dans l’emploi, des nouvelles technologies, etc. « Il ne suffit plus que l’État offre des opportunités ; il doit concevoir de manière proactive des systèmes qui facilitent l’accès à ces opportunités de manière à placer les groupes traditionnellement marginalisés au centre tout en veillant à ce que des protections soient en place pour atténuer la création de groupes nouvellement marginalisés. »

Quelques mots sur l’IDEA

L’Institut international pour la démocratie (IDEA) est un organisme international créé en 1995 et dont le siège social est situé à Stockholm. Son mandat est de « faire progresser la démocratie dans le monde entier en tant qu’aspiration humaine universelle et catalyseur de développement durable ». L’organisme compte 34 pays membres, dont le Canada, et des dizaines d’organismes partenaires.