(Riyad) Ostracisé plusieurs années par des pays occidentaux, le dirigeant de facto d’Arabie saoudite Mohamed ben Salmane s’apprête à revenir en force sur la scène internationale, avec la visite du président américain, cinq ans après avoir été désigné prince héritier.

La visite annoncée de Joe Biden dans le royaume va consacrer la réhabilitation internationale du prince de 36 ans, qui avait été largement isolé après l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi.  

Le déplacement mi-juillet de M. Biden, après celui des dirigeants français, britannique et turc, dans un contexte de flambée des prix de l’énergie liée à la guerre en Ukraine, sonne comme une victoire pour le fils du roi Salmane, âgé de 86 ans.   

Depuis qu’il a été nommé prince héritier le 21 juin 2017, celui qui est souvent désigné par ses initiales MBS, a renforcé son emprise sur le premier pays exportateur de brut au monde, tout en libéralisant certains aspects de la société.  

Photo BANDAR AL-JALOUD, Agence France-Presse

Le prince saoudien Mohamed ben Salmane.

« Révolution spectaculaire »

Mais ses efforts pour moderniser l’image du royaume ultraconservateur ont été balayés par l’affaire Khashoggi, un journaliste critique du pouvoir tué par des agents saoudiens dans le consulat de son pays à Istanbul en 2018.

Un rapport du renseignement américain avait alors conclu que MBS avait « approuvé » une opération visant à capturer ou tuer Khashoggi, ce que l’Arabie dément.   

Jusqu’à peu, Washington était le « chef de file de l’opposition à MBS », a rappelé la chercheuse Yasmine Farouk du Carnegie Endowment for International Peace, aux États-Unis.  

Ainsi, « une rencontre et une photo avec Biden », c’était « exactement ce que MBS cherchait à obtenir », selon un diplomate basé à Riyad.  

À son arrivée en Arabie saoudite, le président américain verra l’empreinte de MBS dans de nombreux domaines, l’évolution la plus visible étant sans doute celle concernant la situation des femmes.  

En cinq ans, les Saoudiennes ont été autorisées à ne plus porter le voile, à participer à des évènements publics et à conduire.  

Par ailleurs, elles n’ont plus besoin de la permission d’un parent masculin pour obtenir un passeport ou voyager à l’étranger.  

Mais pour vivre un peu plus librement, encore faut-il ne pas élever la voix contre le pouvoir. En 2018, au moins une douzaine de militantes ont été arrêtées.  

Ces arrestations s’inscrivaient dans le cadre d’une vague de répression qui a également frappé des princes et des hauts fonctionnaires soupçonnés de corruption ou de manque de loyauté.

MBS « a opéré une révolution culturelle, sociale et artistique spectaculaire […], couplée d’une concentration tout aussi spectaculaire du pouvoir politique », résume Hussein Ibish, de l’Institut des États arabes du Golfe à Washington.  

Approche plus conciliante

Le prince a également imprimé sa marque sur la politique étrangère du royaume.  

Deux mois après l’accession au trône de son père en 2015, alors qu’il est ministre de la Défense, il décide d’intervenir au Yémen voisin, à la tête d’une coalition militaire, pour soutenir le gouvernement face aux rebelles houthis, proches de l’Iran, son grand rival régional.  

En plus de sept ans, la guerre a fait des centaines de milliers de morts et poussé des millions de Yéménites au bord de la famine. Aujourd’hui, Riyad semble toutefois chercher une porte de sortie au conflit, appuyant une trêve dans le pays depuis avril.   

Autre manifestation musclée de la politique étrangère saoudienne : le blocus de trois ans imposé en juin 2017 au Qatar, accusé de soutenir des groupes extrémistes.  

Mais récemment, les analystes jugent que le royaume a adopté une approche plus conciliante avec des puissances clés de la région, en engageant par exemple des pourparlers avec l’Iran.  

Le prince héritier a aussi parlé d’Israël comme d’un « allié potentiel », sur fond de rumeurs sur sa volonté de normaliser les relations entre les deux pays.    

Et après trois ans et demi de brouille née de l’assassinat de Jamal Khashoggi, le prince Mohammed se rend mercredi en Turquie pour sa première visite officielle dans ce pays.

Mais l’un des volets les plus importants du programme de réformes de MBS est sans doute le volet économique, qui vise à réduire la dépendance du pays au pétrole.  

L’Arabie veut attirer quelque 30 millions de touristes étrangers par an d’ici 2030, notamment grâce à des projets futuristes comme NEOM, une mégalopole de 500 milliards de dollars dotée de robots domestiques et de taxis volants.  

MBS insiste sur le fait que « lui seul peut transformer l’Arabie saoudite », note Kristian Ulrichsen, de l’Institut Baker de l’Université Rice.

Mais « les prochaines années seront cruciales » pour lui, car il « devra fournir des résultats tangibles », ajoute-t-elle.