La tension monte relativement au programme nucléaire iranien, alors que Washington peine à s’entendre avec Téhéran sur la manière de relancer l’accord historique conclu en 2015 pour empêcher la République islamique de se doter de l’arme atomique.

Les deux pays « jouent à qui va se dégonfler en premier » plutôt que de négocier et, ce faisant, prennent le risque de précipiter une crise d’envergure, prévient Kelsey Davenport, experte au sein de l’Arms Control Association.

« Chaque jour qui passe diminue la probabilité que l’Iran revienne un jour » aux termes de l’accord, souligne Mme Davenport, qui s’alarme de constater que le pays est « plus près que jamais » de pouvoir se doter de l’arme nucléaire après avoir intensifié ses activités d’enrichissement d’uranium.

Les dirigeants iraniens maintiennent que le programme du pays est de nature civile.

Je pense qu’il est hautement improbable que l’Iran veuille réellement fabriquer une arme atomique. Mais je pense qu’il joue à un jeu très dangereux en continuant de vouloir faire monter la pression sur les États-Unis.

Kelsey Davenport, experte au sein de l’Arms Control Association

L’accord de 2015 avait été conclu sous l’égide de l’ex-président Barack Obama, mais le pays s’en est retiré trois ans plus tard sur ordre de son successeur, Donald Trump, qui a remis en place une série de sanctions économiques que Téhéran veut voir disparaître.

L’administration Biden au pied du mur

Des discussions ont repris entre les deux pays sous la gouverne de l’administration du président Joe Biden, mais ont tourné court au printemps.

L’Iran réclame que les Gardiens de la révolution islamique, l’armée idéologique du régime, soient retirés de la liste des « organisations terroristes étrangères » identifiées par les États-Unis, mais Washington refuse en faisant valoir que cet élément n’est pas lié au programme nucléaire.

Ali Vaez, spécialiste de l’Iran rattaché à l’International Crisis Group, note que l’impasse actuelle n’est pas viable et risque de mettre l’administration de Joe Biden au pied du mur.

[Joe Biden] est au pouvoir depuis un an et demi, mais n’a pas réussi à freiner les avancées nucléaires de l’Iran.

Ali Vaez, spécialiste de l’Iran rattaché à l’International Crisis Group

M. Vaez s’alarme du fait que le pays n’a plus besoin que d’une dizaine de jours pour se doter de la quantité d’uranium enrichi requise pour la production d’une bombe.

L’intensification des activités d’enrichissement ayant suivi le retrait américain de 2018 était vue par Téhéran comme une manière de « se doter d’un levier » pour convaincre Washington de faire marche arrière et de lever les sanctions.

« Mais s’ils voient que ça ne donne pas de résultats, [les Iraniens] vont retourner à la planche à dessin et vont évaluer s’il vaut la peine pour eux de franchir le Rubicon » en fabriquant une arme nucléaire, relève M. Vaez.

La production de la matière fissile n’est qu’une étape et il faudrait ensuite compter « entre 6 et 18 mois » pour « mécaniser » une bombe en bonne et due forme, dit-il.

Mme Davenport note que l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) surveille depuis des années la production de matière fissile en Iran. L’organisation n’aurait cependant aucune façon de savoir où en est le pays dans le processus de création d’une bombe une fois que la quantité requise aura été atteinte et déplacée vers un site non identifié.

Répercussions à l’ONU

Israël, qui s’oppose à la possibilité que l’Iran devienne une puissance nucléaire, ne « prendra pas le risque » d’attendre qu’un tel scénario se réalise et pourrait lancer préventivement des frappes militaires d’envergure, note l’analyste.

Le premier ministre israélien, Naftali Bennett, a prévenu la semaine dernière l’AIEA que son pays n’hésitera pas à utiliser « son droit à l’autodéfense » si la communauté internationale ne réussit pas à dénouer la crise en temps opportun.

PHOTO MENAHEM KAHANA, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Naftali Bennett, premier ministre d’Israël

Ces tensions ont eu un écho au cours des derniers jours à l’AIEA, où une large majorité de pays ont voté mercredi une résolution blâmant l’Iran pour son manque de transparence relativement à ses activités nucléaires.

Téhéran a répondu avec colère en reprochant à l’AIEA d’avoir agi sur la base d’« informations fausses et fabriquées par le régime sioniste ». Le pays a annoncé du même coup qu’il entendait désactiver des dizaines de caméras de surveillance aménagées dans ses installations nucléaires.

Le directeur général de l’agence onusienne, Rafael Mariano Grossi, a indiqué jeudi que cette décision pourrait compromettre la surveillance des activités d’enrichissement d’uranium du pays et sonner le glas de l’accord de 2015.

Le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, a exhorté l’Iran à « choisir la voie de la diplomatie et de la désescalade » plutôt que l’affrontement.

Mme Davenport note que la collaboration de l’Iran avec l’AIEA continuera de se détériorer tant que l’impasse globale demeurera avec les États-Unis.

Les États-Unis, dit-elle, doivent faire preuve de « créativité » pour relancer les pourparlers plutôt que de laisser traîner la situation.

« S’ils n’agissent pas et que l’Iran en arrive au stade de pouvoir se doter de l’arme nucléaire, Biden va devoir payer un prix politique très élevé », prévient-elle.