L’Inde est prise à partie par les dirigeants de plusieurs pays musulmans qui jugent « inacceptables et insultants » les propos sur Mahomet tenus par deux membres en vue du parti du premier ministre Narendra Modi.

Dans la foulée notamment du Qatar, du Koweït, de l’Iran et de l’Arabie saoudite, l’Indonésie et la Malaisie ont convoqué mardi les ambassadeurs d’Inde en poste afin de faire entendre leur colère.

Le ministère des Affaires étrangères malaisien, cité par l’Agence France-Presse, a notamment sommé New Delhi de « mettre fin à l’islamophobie » et de « cesser tout acte de provocation dans l’intérêt de la paix et la stabilité ».

La polémique a débuté il y a dix jours après qu’une porte-parole du parti nationaliste hindou de M. Modi, Nupur Sharma, a remis en question la relation de Mahomet et de sa plus jeune femme lors d’un débat télévisé ayant rapidement trouvé un écho important sur les réseaux sociaux.

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Nupur Sharma, porte-parole du Bharatiya Janata Party

Un tweet dans la même veine mis en ligne quelques jours plus tard par un porte-parole du Bharatiya Janata Party (BJP) à New Delhi, Naveen Kumar Jindal, a aussi contribué à enflammer les esprits.

Une manifestation de citoyens musulmans en colère a été réprimée vendredi à Kanpur, dans l’État de l’Uttar Pradesh, avant qu’un haut responsable religieux à Oman ne donne une portée internationale à la crise en relevant que les propos émanant du BJP étaient assimilables à « une guerre » contre l’islam.

Les commentaires subséquents de plusieurs autres États du Moyen-Orient ont amené la haute direction du parti à intervenir dimanche en annonçant la suspension de Mme Sharma et l’exclusion de M. Jindal.

Contrôle des dégâts

Même s’ils occupaient des postes bien en vue et étaient régulièrement chargés de relayer auprès des médias le point de vue du BJP, les deux hauts responsables ont été dépeints par leurs supérieurs comme des « radicaux » sans légitimité.

Le secrétaire général de la formation, B. L. Santhosh, a assuré par ailleurs dans un communiqué que le BJP « respecte toutes les religions » et se conforme aux dispositions de la Constitution visant à empêcher toute discrimination à ce sujet.

Nous sommes déterminés à faire de l’Inde un grand pays où tout le monde est égal et vit dans la dignité, où tout le monde veut assurer l’intégrité et l’unité du pays.

B. L. Santhosh, secrétaire général national du BJP

Salil Tripathi, écrivain et journaliste d’origine indienne établi à New York, a indiqué mardi que l’intervention est survenue près de dix jours après que Mme Sharma a tenu les propos controversés en ondes.

Ce sont les intérêts économiques de l’Inde qui ont finalement amené le BJP à agir plutôt qu’une quelconque remise en question idéologique, note-t-il, relevant que le géant asiatique compte sur plusieurs pays du Moyen-Orient pour assurer son approvisionnement énergétique.

La formation, souligne le journaliste, fait de la promotion de l’hindouisme un élément central de sa politique et tolère couramment dans ses rangs l’expression d’idées discriminatoires envers les minorités religieuses.

Plusieurs membres du BJP voient d’ailleurs d’un mauvais œil que la haute direction esquisse actuellement un mea-culpa envers les pays musulmans pour les propos controversés de deux de ses membres, note M. Tripathi.

Des cas récurrents

L’attitude du BJP envers les musulmans indiens, qui forment près de 15 % de la population, est critiquée régulièrement par les organisations de défense des droits de la personne.

Dans un rapport paru en mars, Human Rights Watch relevait que le gouvernement indien avait adopté dans les dernières années plusieurs lois et politiques discriminatoires qui les touchent directement.

« Ces lois, de concert avec les discours diviseurs et communautaristes de plusieurs dirigeants du BJP […], ont normalisé la violence et encouragé des groupes ultranationalistes hindous à menacer, à harceler et à attaquer des membres des minorités religieuses, en particulier les musulmans et les chrétiens », note l’organisation.

Les États-Unis s’alarment aussi de la situation. Le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, a indiqué la semaine dernière en livrant les conclusions d’un rapport sur la liberté religieuse dans le monde qu’un nombre « croissant d’attaques contre des personnes et des lieux de culte » était observé en Inde.